Let Us Prey
7.5
Let Us Prey

Album de Electric Wizard (2002)

13ème degré sur l’échelle de Beaufort

Dernier opus de ce qu’on pourrait considérer a posteriori comme une sorte de trilogie (avec Come my fanatics et Dopethrone) Let Us Prey marque une escalade dans la lourdeur. C’est un dernier pas vers les abîmes. Un point de non-retour vers une puissance qu’à mon sens Electric Wizard ne retrouvera pas avec les albums suivants, du moins pas de manière aussi radicale.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’est pas tellement aimé. C’est un album primaire. Il est la lourdeur même. La lourdeur faite son. Dopethrone développait une certaine richesse - toute proportion gardée par rapport à son registre. Let Us Prey fait le choix d’aller à l’essentiel. Il est là pour produire des tempêtes sonores et rien d’autre.

Des tempêtes tellement puissantes, tellement enveloppantes, qu’elles relèguent le chant loin très loin derrière les guitares. La voix de Jus Oborn devient secondaire, engloutie par sa propre musique. Au point de disparaître totalement sur le morceau Master of Alchemy(quel titre d’ailleurs ! probablement le plus grisant de l’album, un vrai gouffre).

Ironiquement, le seul morceau où la voix de Jus se fait bien entendre est We, The Undead, sorte de dégueuli bilieux saturé à l’extrême, davantage punk que doom dans la haine qu’il déverse. C’est ironique précisément parce qu'au moment où on serait en droit d’attendre un chant, on récolte un crachat.

Mais avant tout cela, l’album démarre sans préambule sur A Chosen Few plongeant immédiatement l’auditeur dans la sauce grasse, fumeuse et nihiliste qui fera l’essentiel de l’album. On est prévenu. Tout au long de ses sept pistes, Let Us Prey ne cessera de chercher le riff le plus assommant possible. Le riff idéal c’est celui que l’on peut marteler à l’infini sans ennuyer, créant même un état second au point d’inviter l’auditeur à s’y noyer. On y resterait bien 10, 15, 20 minutes supplémentaires sans problème.

C’est aussi le riff que l’on vient nourrir de changements subtils pour mieux relancer la machine écrasante. Et c’est là qu’à mon sens se trouve toute la maestria d’Electric Wizard. Qu’on se le dise, des groupes Wizardiens on en trouve désormais pas mal. Le sorcier a fait des petits. Moi-même qui suis newbie en matière de doom, je suis déjà tombé sur pas mal de formations inspirées par leur son. Là, comme ça là, je citerais Conan ou encore Monolord, des groupes sympas mais aucun n’atteint les sphères dans lesquelles Wizard se tient.

Aucun ne sait reproduire la subtile richesse de leur recette. Ces ouragans catégories 666, gouffres délirants, dégoulinants de sueur, composés dans la défonce, sentant l'héroïne à plein nez. On met le pied dedans et c’est l’hébétude totale. La machine avance, injectée de ci de là d’une batterie frénétique, puis d’un solo de guitare en fond, d’une note supplémentaire, d’une nouvelle couche de fumée, et ça fait 8 putain de minutes déjà qu’on est emporté par le torrent sans qu’on ne veuille jamais en sortir. Ça coule de partout, c’est dégueulasse.

Au milieu du déluge de l’album, on notera quand même la présence bien sentie de Night of The Shape, fausse accalmie d’une noirceur envoûtante. Des notes de piano sorties d’une messe noire, un saxophone sombre et triste (oui un saxophone vous avez bien lu ). Rien de vraiment doom, au contraire plutôt un jazz des ténèbres, et pourtant le morceau ajoute une épaisseur à la saleté accumulée. Il ne contredit pas le ton de l’album, il le complète.

Alors oui, je sais. Dopethrone reste l’album le plus fort d’Electric Wizard, difficile de dire le contraire. Dopethrone ne laisse aucune chance à la concurrence, mais voilà, moi je voue un culte à Let Us Prey. Je l’aime précisément parce qu’à l’intelligence de Dopethrone il oppose une bêtise crasse dans laquelle il plonge sans réfléchir. Il monte les potards à 11. Il évince les éventuels élans blues qui pouvaient plaire chez Wizard, car il n’est plus là pour séduire les oreilles, il est là pour les inonder.

C’est un album qu’il fallait faire. Il fallait offrir au doom metal un album de cet acabit. Un doom total, saturé, drogué, noir. En un mot : méchant.

-Alive-
10
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le 2 mars 2023

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