Life is People de Bill Fay est un album qui incite à la contemplation. On pourrait attribuer cela au discours du chanteur, empreint d’une certaine religiosité. Mais il ne faut pas se méprendre, en aucun cas Bill Fay ne joue les prêcheurs. Si contemplation il y a, c’est seulement parce que ce dernier nous invite, à partir de son expérience personnelle de la foi, et à l’aide de sa musique majestueuse et simple, à nous ouvrir sur l’univers qui nous entoure.
On a tous entendu (subi ?) ces disques « zen » que l’on trouve chez Nature & Découverte. De longues plages ou l’on entend oiseaux, pluie tropicale, et autres nappes de synthétiseurs de pacotille censés nous détendre. Mais plutôt que de nous calmer, ce genre de procédés tocs peut légitimement nous irriter. La douceur qui s’invite naturellement dès le début de Life is People, sans avoir besoin de « sampler » la nature, a, elle, cette réelle faculté d’apaiser profondément. En effet, Bill Fay impose immédiatement un son, duveteux et charnel, et sa voix, hors d’âge, est bercée par la sérénité d’un homme qui semble en avoir vu beaucoup. Les rythmes sont lents, comme celui d’un cœur au repos. Et enfin, les instruments, piano, orgue, guitare sèche, n’élèvent jamais le ton face au timbre caressant de Bill Fay. Ils le soutiennent pour que l’on se berce mieux de ses paroles.
Celles-ci évoquent volontiers Dieu et Jésus Christ. Pour autant jamais l’anglais ne cède à un ton moralisateur ou ne sombre dans le prosélytisme. Dans cette démarche il n’est d’ailleurs pas très éloigné d’un certain canadien, Leonard Cohen. On pourrait ajouter que Bill Fay a cette même capacité à susciter l’attention (à hypnotiser même) par une diction parfaite et des phrases qui peuvent d’abord sembler naïves, quand elles renferment en fait une grande profondeur. Qu’il s’agisse de l’origine de la vie (« Thank You Lord »), d’amitié (« Be at Peace with Yourself »), ou de parentalité (« Cosmic Concerto »), l’aspect religieux est finalement et finement noyé dans un océan de paroles qui nous réchauffent par leur universalité.
Si la musique peut sembler de prime abord en retrait, il ne faut pas pour autant penser qu’elle passe « derrière » le chanteur. Ce choix de production est un indice de plus pour montrer que le compositeur de Life is People est doté d’une grande délicatesse. Face aux disques actuels, qui favorisent souvent des partis-pris extrêmes en matière de compression*, celui de Bill Fay, avec ses belles dynamiques, fait figure d’ovni. Mais c’est justement ce choix qui nous incite à tendre l’oreille aux détails, à nous replier sur les subtilités d’une musique élégiaque. Bill Fay alterne avec grâce les hymnes pop (« There is a Valley », « This World », « Empires » et « Cosmic Concerto ») et les chansons plus minimales, dans une pure tradition folk (« Never Ending Happening », « Jesus etc. », « Big Painter »). Dans tous les cas, la complexité technique lui importe peu, seule compte la chaleur des phrases musicales, à l’unisson des paroles. La mélancolie qui ressort de ces mélodies sobres, soutenues à l’occasion par des chœurs magnifiques, est d’ailleurs un excellent contrepoint à l’apparent « simplisme » de l’ensemble.
Artiste rare, Bill Fay n’avait pas sorti de disque depuis plus de quarante ans. Or Life is People est un titre dont la limpidité et la grandeur de sens rendent parfaitement compte de son contenu, à savoir une forme de synthèse touchante de ce qu’a pu vivre et ressentir cet homme dans son rapport avec la nature, Dieu, et son entourage pendant cette longue période. Douze chansons n’étaient pas de trop pour un projet aussi ambitieux et il fallait tout le talent de Bill Fay pour nous convaincre que cela était possible. Plus que cela, par ses facultés à installer un climat de promiscuité, les expériences de l’auteur-compositeur deviennent les nôtres. Life is People est un disque qui élève le corps et l’âme, qui nous fait regarder le monde de tout en haut. C’est tellement reposant !