Once upon a time, there was a little girl blue.
Il était une fois une petite fille triste. Eunice Waymon, née en 1933 à Tyron, Caroline du Nord, dans une famille nombreuse. Une pianiste précoce, jouant à l'église locale dès son plus jeune âge. Mais déjà, la ségrégation, le racisme la frappent en plein coeur. Que ce soit par l'interdiction pour ses parents de s'asseoir à son récital, ou par la voie de chemin de fer séparant les deux parties de la ville. Les deux "races". Cette voie, elle la traverse tous les jours pour ses leçons de piano chez Miss Mazy. Comme un premier symbole.
Il était une fois la solitude. Celle d'une enfant noire s'aventurant chez les blancs. Celle d'une enfant noire happée par le piano, sans vie sociale. La difficulté de s'intégrer, de vivre.
Il était une fois un rêve. Devenir la première concertiste classique noire en Amérique. Du travail, un rêve par procuration de sa mère, des études. Bach, Brahms, Liszt...
Il était une fois une déception. Recalée à l'examen d'entrée à l'institut Curtis, Eunice attribue ce refus à sa couleur de peau, et ne l'oubliera jamais. Son rêve perdu, Eunice travaille dans un piano-bar. Pour ne pas que sa mère puisse l'apprendre, elle prend un pseudonyme : Nina Simone. Nina venant de l'espagnol, Simone en hommage à Simone Signoret.
Il était une fois le succès. Nina joue du piano, chante. Le jazz, le blues, la soul, tous les styles musicaux sont à sa portée. Pianiste virtuose, chanteuse à la voix sublime, le succès arrive. Concerts, albums, tournées mondiales, Nina Simone est adulée. Elle finira même par jouer au Carnegie Hall.
Il était une fois, une voix. Suave, sensible, alternant la douceur et la rugosité. Un grain de voix unique, portant la douceur la plus pure et la puissance d'un baryton. Une balle en plein coeur.
Il était une fois Andy Stroud. Epousé en 1961, père de sa fille, manager pour sa carrière. Mais leurs relations se tendent quand Nina s'engage politiquement.
Il était une fois une lionne. Nina Simone sur scène, c'est une énergie inouïe. Une liberté, presque sauvage. Une puissance folle. Vissée derrière sur son piano ou non, la scène est occupée, Nina est habitée. La soul demande un supplément d'âme. Nina en a deux. Elle puise dans son passé, son vécu, son histoire est faite pour la soul.
Il était une fois un guide. Un artiste se doit de s'engager. Du moins c'est ce que pense Nina Simone. Devant la brutalité des actes de haine raciale, l'inégalité omniprésente aux Etats-Unis, Nina s'insurge. Mississippi Got Damn marque un tournant. Malcolm X, Martin Luther King, James Brown, Muddy Waters, Otis Redding... Elle côtoie alors tous les leaders se battant pour les droits civiques. Ses chansons deviennent plus engagées, plus brutales. Nina Simone s'adresse à son peuple, incite à la rébellion, se bat pour la liberté.
Il était une fois une descente aux enfers. Touchée par des difficultés de carrière liées à son engagement, la tristesse de la mort de Martin Luther King, battue par son mari, Nina sombre dans la dépression. Perdue, brisée, elle ne sera plus jamais la même.
Il était une fois le talent. Impalpable, mais inoubliable. La force de son oeuvre, la puissance de son engagement, la beauté de sa voix et de ses chansons. Une trace inoubliable dans l'histoire de la musique, et dans l'Histoire tout court.
Il était une fois le destin. Celui d'une petite fille se rêvant pianiste devenue la grande prêtresse de la soul.
Il était une fois une petite fille triste.
Il était une fois, et pour toujours, Nina Simone.