Quelques notes égrenées virevoltent sous mon plafond avant de filer par la fenêtre ouverte sur la rue baignée de nuit. Au loin les illuminations de Noël font comme un halo. C'est décembre avant l'heure. Mais pour ce soir, c'est jazz time.
Sur la pochette du coffret triple vinyles, Melody Gardot pose de dos, face à la scène, nue, seulement habillée de sa guitare. Une photo qui veut dire beaucoup. Car c'est la première fois qu'elle publie un album live, un album dans lequel elle se dévoile pour jouer à fond la carte de l'intimité avec le public. Elle y retrace cinq ans de tournée (entre 2012 et 2016) sur le continent européen. Le bras descend lentement, le diamant crisse un peu – c'est à peine un froissement, le show peut commencer.
Et dès les premières notes de « Our love is easy », le décor est posé. Ambiance feutrée, tamisée, tendre écrin pour voix de velours.
Pour comprendre pourquoi le charme opère autant sur moi, il faut que je vous raconte la première fois que je l'ai entendue, cette voix. Imaginez le tableau : un chalet en altitude au pied d'une station de ski des Alpes suisses. La nuit qui tombe conjointement à la neige. Sur la table qui trône au centre de la pièce, quelques tasses de thé dessinent des volutes et viennent réchauffer les mains d'une poignée d'amis, rompus par une journée de ski. Et soudain notre hôte bienveillante qui lance My One And only Thrill. Je ne connais pas, je n'écoute alors que du rock pour ainsi dire. De suite, la magie opère. Moment suspendu. Souvenir impérissable.
D’ailleurs le premier vinyle est, excepté « So long », entièrement composé de morceaux de l'album cité ci-dessus, et notamment du classique « Baby I'm a fool » (présent deux fois d'ailleurs, dans une version à Vienne et l'autre à Londres) pour entrer dans le bal par la grande porte. C'est distingué, subtil, ça enveloppe comme un doux coton. Puis dans la foulée « The rain » montre combien sa voix peut par moments s'effacer devant les talents de ses musiciens, laissant dériver le morceau, le faisant sortir de son carcan pour le faire de passer de 3'23 en studio à 11'21 ici (et perso c'est ça que je cherche dans un live, une vraie réinterprétation des morceaux studio, une transcendance presque).
Par ailleurs, en live, l'émotion affleure peut-être encore plus. « Monologue » témoigne de sa complicité avec le public en se terminant par un grand éclat de rire.
Le deuxième vinyle commence par « Lisboa » , morceau latinisant qui témoigne de la palette world de l'artiste (caractéristique de l’album The Absence en 2012), enregistré sur la scène de... Lisbonne, tandis qu'une « Goodbye » catchy permet à la clarinette de verser tout son fiel envers un homme décidément trop inconstant.
Il s'achève sur « Bad news », extrait de Currency Of Man, son très bon dernier album studio paru en 2016. On ne retrouve malheureusement qu'un seul autre morceau de cet album (« Morning sun » en clôture sur le troisième vinyle). Cela s'explique parce que ce Live est un témoignage des années de tournée précédentes et il est clair que c'est l'album My One And Only Thrill qui est ici roi (note : on retrouve aussi « March for mingus », morceau un brin déluré ici, présent initialement sur la version Artist' cut de Currency Of Man).
Et une petite surprise attend celui qui pensait écouter une sixième et dernière face. Celle-ci n'est pas gravée (comme dans la version CD, il y a 17 morceaux en tout) mais pour compenser, on y retrouve écrits dessus un petit remerciement ainsi qu'un autographe (mon sang n'a fait qu'un tour quand j'ai cru, au premier abord, que c'était une méga rayure!). Du beau boulot en somme.
Un album qui me fait immanquablement penser au Live In London du grand Leonard Cohen. Je ne peux bien sûr pas placer Melody Gardot sur le même piédestal, mais l’ambiance et la qualité des musiciens ne sont pas si éloignées. À ranger avec les albums live favoris donc !