Lizard
7.4
Lizard

Album de King Crimson (1970)

Quand tu apprends que Lizard est un disque que Robert Fripp himself a jugé d'un oeil très sévère plusieurs années après sa sortie, tu sais que ça va être dur de convaincre les gens sur le pourquoi du comment du génie de cet album. En effet, si In the Wake of Poseidon était à moitié une redite de In the Court of the Crimson King, il a encore une bonne réputation, et ne s'est pas fait défoncer par son propre créateur. C'est dur la vie de skeud.


Lizard est un album qui se trouve encore dans la partie très instable de la carrière de King Crimson. Sorti fin 1970, il présente encore une fois (ça devient une marque de fabrique, à ce stade) un line-up différent. Mel Collins rempile aux vents, tandis que Haskell s'occupe de la basse en plus du chant. Andy McCulloch complète le groupe derrière les fûts, pour former le line-up le plus méconnu de l'histoire de King Crimson. Il faut également noter qu'il est le plus mal vu, étant donné que Lizard est également l'album le moins rock, et le plus précieux, le plus jazz du groupe.
Et pourtant, il y a du morceau culte dessus. Les choses démarrent sur les chapeaux de roue avec "Cirkus". Bien qu'il soit possible à classer dans la catégorie « poing dans ta face » comme "21st Century Schizoid Man" et "Pictures of a City", il commence de prime abord comme une ballade. Pendant que Keith Tippett se fait plaisir au piano, Haskell débite ses lignes de chant sur un ton plus grave que sur "Cadence and Cascade", avant que la machine ne s'enclenche. Mellotrons et vents déboulents, merci Collins, Robin Miller et Mark Charig. McCulloch abat également ses baguettes pour un numéro progressif qui mérité de rester dans les annales tant il est ciselé avec orfèvrerie et romantisme. Il n'y pas de distorsion sur "Cirkus" (ni sur tout l'album), on se retrouve plus face à une version de "In the Wake of Poseidon" qui a décidé d'être franchement original, quitte à abandonner la tristesse contemplative pour une sorte d'amertume dans le chant.
Le reste de la face A de Lizard est moins brillant que "Cirkus", il faut le reconnaître. "Indoor Games" semble ainsi inspirée de "Cat Food", le côté clinique en moins. Il n'en reste pas moins appréciable, que ce soit pour la partie chantée ou celle instrumentale, même si l'on a l'impression que les musiciens tournent un peu en rond. "Happy Family" est le point faible de l'album, non pas parce qu'il fait référence aux Beatles (bien que cela puisse faire un bon argument), mais bien parce que l'effet sur la voix est désagréable, et que la chanson n'a rien pour accrocher. "Lady of the Dancing Water" constitue pour sa part un agréable et sensible interlude avant le mouvement vraiment progressif pour certains du disque.
En effet, si l'on regarde bien, la face A de Lizard, c'est de la pop. Progressive par moments, certes, avec des incartades instrumentales, mais pop quand même. Et puis arrive "Lizard" (le morceau). Cette longue et complexe suite est le plus long morceau studio de King Crimson (les connaisseurs comprendront pourquoi j'insiste sur « studio »), un mille-feuilles bien épais de 23 minutes qui occupe toute une face. En 1970, King Crimson innove, et donne une idée aussi intéressante que terrifiante à ses enfants. Il étonne également, puisque sa première partie présente... Jon Anderson au chant. Hé oui, Fripp refait le coup de l'invité chant, remplaçant ici celui qui remplaçait Lake sur le disque précédent. Mais la suite montrera que le chanteur de Yes, alors jeune formation hésitante, ne viendra pas grossir les rangs du Roi (mais peut-être qu'un autre... bref). Toujours est-il qu'Anderson livre une performance dont il est logique qu'il ait la charge, Haskell ne possédant pas la charge émotionnelle adéquate pour cette intro mémorable dans l'histoire du rock progressif. Le reste du morceau est un enchainement de passages instrumentaux assez démonstratifs, il faut l'avouer, mais non stériles, car véhiculant un univers riche, varié, bien que globalement sombre. Cette dernière impression est renforcée par les quelques lignes de Haskell, avant un final dont le côté dramatique est renforcé par le mellotron de Fripp. Pour une matrice de mouvement progressif à tiroirs, on pouvait difficilement faire pire, il faut l'avouer.
Lizard est un très bel album de King Crimson, et aussi un album réussi de part en part, avec de très faibles défauts. Certes, il a vieilli, mais comme un bon vin qu'on laisse maturer et qui révèle tous ses arômes avec délicatesse. Un travail de maitre, donc, qui fait regretter que l'album a été accouché avec douleur et suivi d'un nouveau chambardement dans les rangs. Haskell veut notamment plus de r'n'b dans le prog et pas d'effets dans la voix lors d'éventuels concerts, ce à quoi Fripp répond « va te faire foutre ». Nouveau départ donc, pour le groupe qui voit les musiciens partir les uns après les autres. C'est dur la vie d'artiste, notamment quand on s'appelle Robert Fripp.
Walter_Smoke
7
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le 13 avr. 2019

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