Lizard pourrait très bien être le chef-d'œuvre de King Crimson. Un album fait d'incessantes ruptures de ton, d'une idée par mesure, où la recherche permanente d'une trame complexe aboutit à un résultat -plaisant ou non, mais un résultat tout de même. Le voyage est unique, le groupe prend le temps de nous mener là où ils ont envie.
Ils convient le jazz à ce rock si atmosphérique où le mellotron reste le fil conducteur d'une trame vaporeuse : personne ne sait par exemple où le titre éponyme extraordinaire, long d'une vingtaine de minutes, nous mènera. Lorsque déboulent les riffs tout en cacophonie ou les instruments à vent à l'unisson sur le déjà sidérant Cirkus, c'est un chemin tortueux qui s'offre à nous et dont on se sent pris au piège. L'album s'amuse à envoyer pléthore d'informations à gauche, à droite, au centre, jusqu'à modifier le niveau sonore sur certaines parties et créer ainsi le choc.
Les allergiques du Crimson videront la tablette d'antihistaminiques tandis que ceux qui auront réussi à se faire prendre au piège reprendront du rab jusqu'à comprendre après plusieurs écoutes, in fine, toute l'immensité que représente le troisième opus du King Crimson. Groupe qui ne s'était alors pas encore tout à fait fourvoyé dans les gimmicks inévitables imposés par Pink Floyd. Il reste dans tous les cas l'un des chefs d'oeuvres du rock progressif et l'un des grands albums témoins d'une époque folle et débordant d'idées où la musique pouvait aussi rimer avec littérature et architecture.