Lunatic Soul par Benoit Baylé
Majestueux d’intimité.
Mariusz Duda est le principal compositeur, auteur, mais aussi interprète et bassiste de Riverside. Il apparaît, à de nombreux niveaux, comme le principal rival de Steven Wilson dans cette nébuleuse mourrante qu’est le rock progressif des années 2000 et subséquentes. Son approche mélodieuse de la composition, toujours définie en accord avec des lignes de chant d’un aspect mémorable rare, contribue à confirmer le polonais comme l’une des rares figures de proue d’un mouvement en manque de leaders charismatiques. Las des metallisations progressives certes réussies de son projet phare, il se lance en 2008 dans l’enregistrement d’un ouvrage solo, destiné à un rayonnement différent.
Trève de bafouillages biographiques. Lunatic Soul est un projet unique. Son identité esthétique se détache complètement du style développé par Riverside. Les guitares cinglantes et lourdes sont totalement abandonnées au profit d’arrangements acoustiques, qu’il s’agisse des six-cordes ou des percussions. La production, elle aussi, suit cette progression intimiste : dès les premiers retentissements vaudous de l’introduction « Prebirth », l’auditeur devine qu’il s’apprête à plonger dans un univers sage, à la spiritualité rare, presque inhumaine. En réalité, l’album n’a d’humain que son mysticisme. De prime abord, son intimisme lui, apparaît paradoxalement comme grandiloquent : les orchestrations sont ambitieuses, les variations de thèmes léchées, les harmonies parfaitement axées, l’esthétique soignée. Malgré le fait que tous ces ingrédients participent d’ordinaire à l’élaboration d’une saillie progressive, intrinsèquement mégalomane, Mariusz Duda parvient à créer autour de sa chose personnelle un climat de confiance, d’humilité, voire de pudeur. De telle sorte que l’on écoute pas Lunatic Soul, on s’y dédie.
Ce projet est, à l’instar de quelques rares autres réussites (le dernier Amplifier, Echo Street, dans un style quelque peu différent), la photographie d’une rencontre entre l’artiste et le spectateur. Par ces mélodies élaborées avec toute l’intégrité que l’on n’enlèvera certainement pas à Mariusz Duda, l’auditeur est touché dans les recoins les plus inventifs de son esprit. D’innombrables images se matérialisent autour de cette œuvre si cinématographique qu’il est aisé de l’imaginer en bande originale d’un film aux couleurs sombres, à l’estampe pluvieuse. Voyager entre les ambiances vaillantes, les atmosphères forestières et les quelques réalités flutées est un véritable bonheur. Unique, qui plus est, puisque jamais rien n’a sonné comme sonne Luncatic Soul.
S’exemptant de toute contrainte liée aux carcans du bien-pensé musical actuel, les hymnes sont loin du conformisme habituel couplet/couplet/refrain/couplet/refrain. Très rarement d’ailleurs disposent-ils d’un couplet ou d’un refrain. Les voix apparaissent en complément des instrumentations, pas l’inverse (« The New Beginning », « Near Life Experience »). Parfois même, les morceaux sont uniquement instrumentaux (« Where The Darkness Is Deepest »). C’est bien simple : Mariusz Duda a fait ce qu’il voulait. Libéré de toutes les subjectivités d’autrui (c’est l’apanage de tout groupe d’artistes), il publie avec Lunatic Soul son œuvre la plus personnelle en date, bien que pas encore la meilleure.
Il est souvent dit que le meilleur moyen de faire oublier quelque chose, c’est en lui rendant hommage. Il serait effectivement de bon ton de considérer cette chronique comme un hommage, mais prions que celle-ci ne fasse pas oublier ce projet dont les dythirambes n’ont été que trop peu nombreuses.