1991-2013 : 21 ans de shoegazing
Finalement, il aura fallu attendre 21 ans (et quelques mois) pour entendre le successeur de Loveless et mettre fin à une des plus longues arlésiennes de l’histoire du rock. Pour bien comprendre, il faut remonter en 1991 lorsque sort Loveless, un classique instantané qui créer un genre à part, le shoegaze. Kevin Shields et sa bande écrivent un chef d’œuvre, un disque incontournable dans l’histoire du rock, un disque parfait, intemporel (ouai, là c’est le moment de sortir les superlatifs en fait). Auréolé de ce succès, le groupe signe un gros chèque avec Island Records et engloutissent la totalité de leur argent dans un studio inutilisable. C’est donc en 1993 que les merdes commencent. S’ajoute à cela la pression que subit Kevin Shields face au succès critique de Loveless, la tête pensante va devenir incapable de boucler ce troisième disque qui va petit à petit se faire oublier. Avec les années, My Bloody Valentine ne va devenir plus qu’un souvenir d’adolescence, chacun se consacrant à un nouveau projet et Kevin Shields se contentant d’aider d’autres artistes à la production ou à l’écriture.
C’est en 2007 que le web, apparu entre temps, s’excite après que Kevin Shields annonce le retour de My Bloody Valentine sur scène. Dans la foulée, il précise que le troisième album enregistré en 1996 est au 3/4 terminé. Et ouai, le mec il balance ça trankilou comme s’il bossait sur ce disque depuis 10 ans et qu’il avançait à son rythme. Mais cette excitation va être de courte durée puisque ce nouvel album va être sans cesse repoussé, retardé avec de nombreuses excuses à la clé. Et puis la semaine dernière, dans la nuit du 2 février, le mec vend le disque sur sa page. Bien sûr, personne n’a encore écouté la bête que c’est déjà un succès commercial. Le site plante, le manager annonce 30 000 disques vendus dont 15 000 vinyles en 24h (ce qui le fait déjà rentrer dans le top des ventes vinyles de 2011) et c’est tout naturellement dimanche la bouche encore pâteuse que l’on découvre la bête de 20 ans d’âge.
Les premières écoutes s’avèrent clairement décevantes, disons qu’après tant d’années on pensait tomber sur un disque un peu plus fou ou tout simplement avec de meilleures mélodies parce que bon, au début, c’est pas la folie du tout. Dans son ensemble le disque laisse entrevoir derrière ses épaisses couches de guitares distordues une dream pop vaporeuse un peu molle. Au jeu des comparaisons, m b v se révèle beaucoup moins percutant que Loveless, disque de toute façon insurpassable puisque parfait (on se répète mais bon c’est important de comprendre que pour un mec qui s’appelle Kevin c’est déjà bien d’avoir fait un truc qui restera dans l’histoire). Passé les trois premières écoutes, on a l’impression d’avoir écouté un truc très brouillon et amorphe. m b v, c’est un peu comme votre vieil oncle super sympa à l’époque mais qui était devenu aussi fun qu’une poignée de porte depuis qu’il s’était pris un train en pleine tête. On commence à se demander si on se serait pas un peu foutu de notre gueule au vu des critiques (en une journée la moitié de la population avait déjà son avis quand même hein) qui s’étaient pas mal excitées sur un truc qui faisait beaucoup de bruit pour rien. Avions-nous là la fameuse madeleine de Shields qui leur rappelait leur jeunesse qui fout le camp? La réponse est non car m b v, loin d’être le disque parfait, propose quelque chose de nouveau et réussi en étonnant l’auditeur.
La grande force est là, 22 ans ont coulé sous les ponts et des sosies de My Bloody Valentine, on en a connu beaucoup entre temps. Pourtant, m b v écrit un disque shoegaze qui détonne comparé à ses enfants. Si ce genre qu’ils ont inventé a souvent était associé au rock, My Bloody Valentine en vient parfois à la dream pop nébuleuse. Les guitares deviennent claires et léthargiques, elles tentent de se frayer un chemin à travers le mur sonore des basses et des effets toujours plus nombreux. Quand déboule Is This And Yes, titre apaisé où Bilinda Butcher (qui est la seule à avoir bien vieillie, elle s’est même embellie tiens) pose sa voix aiguë sur un synthé façon orgue, on n’est presque pas étonné tant la chanson cadre avec l’ambiance générale de l’album. Si différent et pourtant m b v aurait pu sortir en 1996 que cela n’aurait choqué personne, comme Loveless aurait pu lui, sortir cette année. m b v tout comme son prédécesseur possède cette intemporalité, souvent la marque des grands disques.
Enfin ça c’est pour les deux premiers tiers qui sont certes hautement recommandables mais qui vont être vite oubliés par la triplette déjà culte. Globalement, si les 6 premiers titres sont une rétrospective de tout ce que peut être le shoegazing (du poppy New You au plus rugueux Who Sees You) sans répéter ce qui a déjà été fait sur Loveless, In Another Way, Nothing Is et Wonder 2 qui clôturent l’album tentent de voir au-delà. In Another Way est quasiment le premier titre qui envoie le bois. Les guitares agressives sont dominées par ce synthétiseur sorti des années 90 aux airs rêveurs. L’alliance entre les deux instruments qui pourtant s’opposent donne un ton psychédélique à ce titre qui pourrait rappeler un 1979 des Smashing Pumpkins en beaucoup plus bruitiste. Ensuite, débarque Nothing Is, un titre instrumental et expérimental là encore bourrin où les guitares électriques deviennent une véritable machine de guerre qui répète en boucle les trois mêmes notes durant toute la chanson. Le son ne cesse de s’amplifier comme si les couches se rajoutaient les unes aux autres mais la guitare devient de plus en plus précise. Nothing Is est un rouleau compresseur qui grille vos derniers neurones mais terriblement jouissif. Enfin, Wonder 2 est sans conteste le morceau le plus étonnant avec ces moteurs à réaction passé à l’envers puis à l’endroit. Ces trouvailles sonores donnent à la chanson tout son aspect dissonant. Il est amusant d’avoir autant de plaisir à l’écoute d’un titre où rien ne semble être en harmonie et pourtant on est tout de même fasciné par les sons crées par Kevin Shields.
On regrette que le reste du disque ne soit pas à l’image de ces trois dernières chansons où l’on découvre un My Bloody Valentine qui va réellement de l’avant. On regrette que ce disque soit trop nébuleux et trop avare en mélodies malgré le son démentiel qui s’en échappe. Malgré ses failles, My Bloody Valentine continue de captiver les foules et m b v vient s’ajouter à une discographie exemplaire qui clôt une trilogie brillante. A défaut d’être un chef d’œuvre, cet album pourrait ouvrir les portes d’un horizon nouveau entrevu dans ces trois derniers morceaux mais ça, il faudra attendre encore un bon moment avant de connaitre la fin de l’histoire.