Le plus intense avec ce nouveau AIMEBÉVÉ c'est quand même l'instant où tu réalises que tu vas pouvoir l'écouter là, maintenant voire tout de suite; sans plus attendre en tout cas. Je n'étais pas chez moi lorsque l'événement se produisit donc il m'a fallu un peu de temps pour débusquer une paire d'écouteurs, et cette espèce de micro-panique (« merde y'a-t-il vraiment une paire d'écouteurs par ici ? ») participe pleinement à l'instant historique, à la création d'un moment dans l'Histoire, le moment où le nouveau MBV est sorti et que c'est pas sûr du tout que y'a vraiment une paire d'écouteurs dans le coin...
Le fait est qu'il y en avait une - ceux-ci étaient blancs, même - et que le son était moyen mais la vaste fenêtre et son panorama sans précédent sur la ville de Nantes comblait (malgré tout) tout. Récapitulons : My Bloody Valentine qu'est-ce que c'est ? c'est des guitares avant tout et des textures de guitare (grumeleuses, entre autres) et puis la voix de Bilinda (et de Kevin parfois aussi) qu'essaie de survivre à tout ça; et bref au final c'est le ressenti qui importe, le ressenti exacerbé par la douceur secrète du love lové sous le tumulte, le tout servi par une technique sonore de pointe. On retrouve ici les gimmicks coutumiers du groupe comme par exemple cet effet « alcool au volant », oui je veux parler de cet espèce de rendu « vieille cassette gâteuse » qui donne aux riffs cet aspect si branlant, si brinquebalant à effectuer des glissades vers la note inférieure avant de revenir très vite à la note initiale (par contre je sais pas du tout comment ça s'écrit, en termes techniques). Mais bref passons sans plus tarder à la revue des troupes :
She Found Now - Sometimes II le retour, où l'on se dit que c'est quand même pas très audacieux mélodiquement parlant mais que c'est quand même une bien jolie façon de nous dire "re-bonjour" après tant d'années... Une amorce apaisée tout en douceur qui finit par s'étaler vaporeusement sur le sofa avant - pourrait-on croire - de s'approcher pour nous sussurer que tout va bien et que ça servait vraiment à rien de s'inquiéter...
Only Tomorrow - Un hymne à l'incendie. Le feu se déclare aux environs de 1:30, ça sent grave le roussi avec la guitare qui se désagrège, se dissout d'un seul coup sous les flammes et Bilinda qui hurle le plus stridemment possible pour qu'on vienne la sortir de là... La dernière partie est tout-à-fait chavirante avec la fournaise qui se propage carrément sur tout le morceau en n'épargnant qu'une unique guitare, une survivante homérique du brasier bouillonnant qui nous sort un espèce de chant du cygne héroïque et langoureux.
Who Sees You - La jouissance du rasoir, la grâce de la lame tranchante qui rappelle immanquablement I Only Said mais en un peu plus caressant cette fois-ci, malgré les saccades. Les saccades oui, car en effet le morceau se retrouve comme hachouillé de partout par la pédale wah-wah et c'est assez marrant de suivre la guitare du refrain qui tressaille le long de cette balade sur route à cent mille dos d'âne... Et puis les dernières secondes post-chaos façon "allez on coupe tout mais on laisse quand même l'ampli souffler un peu par-derrière pour prouver que c'était bien du direct", c'est très beau.
Is This and Yes - Terry Riley dans la place, yo. Un vaste réseau de synthés sinueux dont l'ataraxie paradisiaque nécessitera plusieurs écoutes pour se révéler enfin à nous. Hmm... perso moi ça me rappelle un peu les concerts d'orgue proposés par la collégiale Saint-Aubin de Guérande (que je recommande chaudement d'ailleurs).
If I Am - Je sais pas si ce morceau a été conçu dans les 90s mais moi il me renvoie directement à cette période, et d'une manière assez trouble. C'est peut-être la basse profonde ou la guitare gondoleuse qui m'évoquent (insidieusement) un temps reculé presque perdu... Ces abîmes-là te font chuter dans des lieux décidément bien casse-gueule, où la caméra de surveillance ne sert pas à grand-chose face à tant d'insécurité sensorielle.
New You - Morceau paraît-il composé au milieu d'une prairie irlandaise, du coup musicalement ça donne une chouette balade pastorale en fast-motion comme dans un train; oui voilà ça fait un peu comme d'observer les prairies irlandaises qui défilent depuis la fenêtre du wagon pour Cork City.
In Another Way - Wah, là on retrouve carrément le biniou d'Irlande dans l'intro ! ensuite c'est la batterie qui mène la danse à la façon d'un petit caporal scrupuleux avant d'amener un mur sonique tétanisant suivi d'une guitare éthylique et d'un refrain qui sonne comme un condensé distordu d'un solo des Gun's & Roses... Un peu benêt certes, mais assez audacieux tout de même faut avouer.
Nothing Is - Heu... ce morceau il sert à rien là par contre, non ? comme son nom l'indique, vous me direz... en fait j'ai même pas encore réussi à l'écouter en entier tellement je le trouve profondément antipathique, ce morceau (ndlr : il est possible que je change d'avis donc je rectifierai ma senscritique au cas où).
Wonder 2 - Le 747 JUMBOJET dont tout le monde parle pour décrire une chanson-type des MBV, le voici enfin de chair et d'os ! pour le coup on dirait presque un clin d'œil aux fans (ou aux détracteurs)... hmm, je ne sais pas trop quoi dire sur ce morceau, j'ai pas essayé moi-même mais je suggère de l'écouter dans un train ou dans un métro de banlieue, quelque chose d'urbain je dirais car de la campagne nous en avons un peu assez à la fin, oui nous sommes tous las des canards & des chevaux, suffit les étangs brumeux voire même carrément spongieux; sus en somme aux fermiers primitifs et leur cortège bucolique accablant.
Conclusion - Cet album a des allures de kaléidoscope bigarré de tout ce qui a pu inspirer Kevin Shields ces vingt dernières années, ça sonne du coup un peu daté par endroits mais la sophistication harmonique est indéniable et l'émotion plus que jamais dans la place. Il y a quelque chose d'assez... fantasmagorique dans le fait d'écouter comme ça un patchwork de sons bricolés sur une aussi longue période, une période presqu'aussi longue que nos vies à nous... ça te met bien ton bonhomme en abîme quoi, une pareille fresque audio. Dommage que le final soit loin d'être aussi épique que le (Saint) Soon du (Béni) Loveless mais bon, l'ensemble demeure éclectique et passionné et ça, ça fait franchement bien plèz après tant d'années de silence-après-la-tempête. De fort belles retrouvailles, en somme.