Champs de fraises, pour toujours
(Chronique "La critique introspective, c'est pas pour les endives" n°7)
Juste avant d'avoir 19 ans, au terme d'une première année de fac (oui, c'est après, que j'ai trainé), voici donc la première virée sérieuse, avec la copine du moment et deux potes. Un mois entassés à quatre dans une vieille mais tenace R5 qui va avaler pas moins de 7000 bornes en un mois, qui ramènera au terme de ce périple épique autant de mauvaises odeurs que d'impérissables souvenirs.
Un mois d'Irlande (le tour complet) en camping sauvage, en pubs riches en visages, en ruines sans âge et superbes rivages.
Mes années lycées s'étant refermées sur ma période hard-rock, me voilà ouvert et avide aux nouvelles formes musicales, qui toutes me semblent formidablement libres et inventives. Jazz, classique world music mais aussi et surtout pop-rock deviennent mes nouvelles nombreuses et non exclusives passions (la chanson française arrivera plus tard, dans le même train que mes enfants), et j'absorbe tout nouveau son comme une éponge jamais gorgée, bien aidé en cela par un des quatre membres de l'expédition celtique, véritable allmusic.com dix ans avant l'émergence massive d'internet (nous sommes en 87).
De cette période folle de découvertes tout azimuts, et de ce voyage initiatique, me reste à jamais collée cette image sonore: les premières notes de mélotron de "Strawberry fields forever" ou les premiers accords de "I am the warlus" sur un couché de soleil sur la lande ou mieux, dans une ruine de château au bord d'une falaise dans la quelle nous campions pour une nuit d'éternité.
Une porte d'entrée intemporelle sur l'inconnu, le rêve, une dimension de plaisir absolu, un départ immédiat vers un ailleurs prodigieux et fantasmé, peuplé de créatures imaginaires et d'amitiés réelles et multiples.
Des champs de fraises dix mille fois plus puissant que toutes les fûts de Guinness du monde ou qu'une soufflette cosmique du grand Jah lui-même sur le plus gros pétard jamais roulé.
La preuve, 25 ans après, je plane encore.
(Les autres chroniques: http://www.senscritique.com/liste/La_critique_introspective_c_est_pas_pour_les_endives/69932)