L’insoutenable légèreté d’une baleine qui vole

Gojira est le groupe qui pour moi représente la passerelle entre un metal accessible et connu voir apprécié du grand public (Metallica en tête de file) et un metal bien plus hermétique à la fan-base plus réduite mais non moins fidèle : le bien-nommé metal extrême et ses dérivés.

Tout me destinait à écouter Gojira, la cover hypnotique et vachement classe de leur album From Mars to Sirius (2005), le fait qu’ils soient français et aient une superbe réputation à l’international, et qu’ils soient écolos ! Du death-metal qui ne parle ni de tortue ni d’anatomie ni d’autres trucs gores, mais d’écologie, non sans déconner c’est rare dans le milieu, et si ça se démocratise, lors des débuts de Gojira, c’était du jamais vu.
Mais j’ai mis longtemps à l’écouter, cette grosse baleine, simplement parce que le groupe est catalogué death-metal, et j’ai du mal avec les blast beats et le chant guttural, signatures du genre.
Après un premier contact indirect pas génial avec Gojira du temps où j’étais moins ouvert d’esprit, le second contact, avec Magma (2016) et la tournée qui s’ensuivit, va être le bon.

Plus court que ses prédécesseurs, moins death (ouf), mais plus atmosphérique, plus aérien et tout aussi lourd (l’emblème du groupe n’est pas une baleine volante pour rien), Magma est le moins agressif des albums de Gojira, limite planant et apaisant. Empruntant au groove et au metal progressif, ce disque est fort de morceaux tubesques, épiques et est pratiquement sans fausses notes.
En plein deuil de leur mère, les frères Duplantier accouchent donc d’une œuvre hybride et singulière, qui sous sa cover plutôt banale et un peu moche, est une véritable perle et une réussite de la part du groupe. Celui-ci se faisant de plus en plus accessible, mais pas plus con pour autant, la marque Gojira est toujours là, la musique restant sacrément puissante, mais ayant délaissé l’aspect plus typé death-metal des trois premiers albums, et est dans la droite lignée de L’enfant Sauvage (2012), très bon également.
Là où From Mars to Sirius, pourtant plus facile d’accès que les deux premiers essais du groupe, avait du mal à sortir de ses influences death avec le chant guttural de l’intimidant Joseph Duplantier, ici ce n’est plus le cas. En effet, le co-leader du groupe alterne intelligemment entre chant clair (The Shooting Star, la chanson-titre) et chant hurlé mais loin d’être agressif à l’écoute (Silvera, Stranded). Musicalement Magma paraît plus simpliste que ce à quoi le groupe nous avait habitué auparavant, avec des titres plus courts, dont certains calibrés pour la radio, un peu moins technique (moins de glissades de manches, d’harmoniques artificielles que les disques précédents). Plus simpliste mais pas moins efficace, le fond sonore donné par la basse, le jeu endiablé des deux guitares, le chant de Joe Duplantier ayant gagné en tessiture et en virtuosité et le jeu de batterie toujours aussi lourd et puissant de son frère Mario compensent largement et donnent à l’album un son démentiel, toujours fort de la patte Gojira.

Magma, décrié et critiqué par les fans suivant le groupe depuis les débuts plus violents et agressifs, car trop accessible, est pourtant une excellente surprise qui confirme avec L'Enfant Sauvage que notre bête nationale se défait peu à peu de ses influences (dont la principale est Morbid Angel) pour inventer au fur et à mesure que sa carrière s’allonge une musique qui, non catégorisé death, thrash, groove metal ou bien prog, pourrait être tout simplement catégorisé Gojira. Et qu’un groupe français se retrouve sur la scène internationale avec un son singulier et réellement original; et non pas un paquet d’influences visibles à 10 kilomètres à la ronde enveloppé dans un papier cadeau (coucou la New Wave of Traditional Heavy Metal !), ça fait plaisir, et on se plaît à penser avec un petit sourire chauvin que dans 20 ans, on parlera de Gojira comme nous parlons actuellement de Metallica ou Iron Maiden.