Make Yourself
6.8
Make Yourself

Album de Incubus (1999)

En 1997, Incubus révolutionnait la scène fusion funk/metal incarnée à l'époque par des Red Hot Chili Peppers cocainés grâce à une S.C.I.E.N.C.E des power-chords ravageurs, des lignes de basse exceptionnelles de groove... Une folie incontrôlable comparable aux seuls Primus transparaissait alors, visible notamment dans le clip d' "A Certain Shade Of Green" : le chanteur et guitariste sont dreadlockés, un astronaute s'allonge dans un tunnel, des personnes courent dans leur plus simple appareil... Lorsque la bande à Brandon présente son nouvel opus deux ans plus tard, elle s'est gravement assagie : ce recadrage artistique est constatable dans le clip du second single "Stellar". Paroles romantiques, ligne rythmique à la "Roxanne" de The Police, les dreads se sont volatilisées et la création vidéo prend son sens. Cet Incubus plus mainstream et moins fatras se lance à l'assaut des charts qui le lui rendent bien, puisque "Stellar" termine à la deuxième place du Modern Rock Tracks en 2000. A ce jour, plus de 3 millions de Make Yourself se sont écoulés à travers le monde, toutefois le groupe reste assez méconnu dans nos contrées.

Cette constatation se révèle assez incompréhensible à l'écoute de ce manifeste de rock à la fois burné et ambiant. Les influences funk si chères à S.C.I.E.N.C.E et Fungus Amongus ont disparu pour laisser place à une musique plus apaisée, plus mûre. Ainsi, la créativité de l'artisan guitariste Mike Einziger se dévoile aussi écrasante de subtilité que de puissance : à l'initiative de riffs intemporels comme celui de "Stellar", de ballades acoustiques à billets verts comme "Drive" ou encore de bizarreries alienesques comme "The Warmth", il est le premier facteur de la réussite artistique du groupe. Le succès d'Incubus auprès du grand public est quant à lui dû en grande partie à Brandon Boyd, le ténébreux chanteur qui, grâce à une gueule d'ange, une voix claire et un sens de l'écriture exceptionnel, aura réussi à intéresser plusieurs millions de minettes à une musique originellement peu accessible.

Make Yourself joue sur de nombreux plans avec une grande réussite et beaucoup de caractère : "Pardon Me" représente symboliquement le genre de titres qui distingue les artistes audacieux des groupes anecdotiques. Loin d'appartenir aux canons du genre à l'époque par ses couplets durant lesquels Brandon Boyd prouve qu'il n'est définitivement pas bègue (le bougre dit 15 mots par seconde), "Pardon Me" fut pourtant le premier single de l'album : Incubus, un groupe à la fois téméraire et ambitieux ? L'instrumental "Battlestar Scralatchtica" est l'occasion pour le DJ du groupe, DJ Killmore, de démontrer toute l'étendue de son talent, aidé de la basse inventive de Dirk Lance, d'ailleurs hautement sous-estimé. En effet, si les lignes de basse du grand oublié Dirk se veulent plus discrètes que sur S.C.I.E.N.C.E, cela ne l'empêche pas de fournir de grands moments de bonheur aux adeptes de la 4 cordes, l'arabisante "Nowhere Fast" peut en témoigner. Véritable sommet de l'album, elle transporte par ses alternances entre ambiances atmosphériques et saturation outrancière, entre sitar électrique et chant occidental inspiré.

Bien qu'étant une réussite dans son ensemble, Make Yourself recèle des titres franchement dispensables, comme le douceureux, narcotique et désolant "I Miss You" ou l'inutile et répétitif "Out From Under". Autre point négatif : cet album représente une transition plus qu'un véritable chef d'oeuvre en lui même. En effet, si Incubus tend progressivement, après S.C.I.E.N.C.E, vers une création plus mature et plus pop ("Drive" et "Stellar" en témoignent), le changement de cap ne sera abouti qu'avec le prochain opus, paru deux ans plus tard : l'excellent Morning View. Il n'empêche que Make Yourself reste un très bon disque 12 ans après sa sortie. Les adeptes de rock dur, accrocheur et atmosphérique y trouveront leur compte.
BenoitBayl
8
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le 7 déc. 2013

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Benoit Baylé

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