Mendelson
8.2
Mendelson

Album de Mendelson (2013)

Ce sont deux visions radicalement différentes de la chanson française qui s’affrontent à travers s/t et Blizzard EP. Mendelson, qui n’en est pas à son coup d’essai, propose un triple album (!) quand le jeune groupe Fauve se lance avec un EP six titres joliment intitulé Blizzard. Cette différence de longueur du contenu cache aussi de vraies dissensions dans la forme des chansons : le premier dilate le temps avec une science des mots et du son résolument à part quand les autres prônent une urgence par trop calibrée.

Il suffit de regarder la pochette des deux disques pour se faire une première idée de ce que défendent les deux projets : alors que Fauve affiche de façon ostensible sa différence (le « parlé vrai », l’indépendance face aux maisons de disques) par un gigantesque sigle ≠ (et en rouge s’il vous plaît, au cas où on n’aurait pas bien compris), Mendelson oppose une mer tumultueuse, assez effrayante mais à la puissance évocatrice beaucoup plus riche. Une chose en commun tout de même : ce fond grisâtre, synonyme de morosité, plus particulièrement celle des relations amoureuses ou de la société.

Cette morosité, le chanteur de Fauve la combat à coups de dents, d’insultes parfois, avec un débit de parole que rien ne semble vouloir tarir… Mais que l’on est en droit de trouver fatiguant, et ce assez rapidement. Pascal Bouaziz (chanteur/auteur/compositeur de Mendelson) a en revanche le phrasé d’un homme épuisé, qui conserve cependant suffisamment de lucidité pour dresser des constats accablants de vérité sur ce (ceux) qui l’entoure(nt). On aime l’écouter, comme on aime écouter Ferré, parce que Bouaziz prend son temps, comme le poète, pour développer des tableaux mentaux qui s’inscrivent durablement dans la tête. Tout le contraire du chanteur de Fauve, qui, dès ses premières phrases, nous rebute par une forme d’indécence, celle de se livrer sans fard, et trop rapidement, à des inconnus : nous. Son intimité, on ne veut pas la partager, parce qu’elle est trop. Trop sérieuse (Bouaziz, lui, ne manque pas d’humour), trop dramatique, trop adolescente peut-être.

Il est regrettable que le chant soit autant mis en avant chez Fauve parce que musicalement le groupe est indéniablement au-dessus du lot commun. Les compositions sont aussi directes que les paroles, à ceci près que la pop travaillée par les musiciens ne semble jamais aussi forcée que le slam speedé un peu factice de son chanteur. Cette pop avance masquée, comme un contrepoint à la crudité souvent gratuite des textes. On aurait vraiment aimé que le chant laisse respirer ce lyrisme discret et efficace, ce sens impeccable de la mélodie. C’est ce qu’a entrepris Mendelson en faisant justement le pari courageux, parce que Bouaziz parle aussi beaucoup (encore plus que sur les précédents opus), de s’échapper carrément du cadre mélodique. Cela fait plusieurs disques que Mendelson s’en détache progressivement, c’est vrai, mais ce triple album est l’aboutissement de cette démarche : les chansons s’étalent volontiers sur plus de dix minutes au travers de climats anxiogènes, percussions (deux batteries sont présentes) et autres drones (**) extrêmement travaillés, offrant délibérément la vedette à la voix profonde de Pascal Bouaziz et à ses contes urbains désenchantés.

Soyons francs, la démarche de Mendelson a de quoi rebuter (et même on peut penser que la bande de Bouaziz va trop loin avec son deuxième disque de plus de cinquante minutes pour… une seule chanson !). Mais elle nécessite que l’on prenne son temps pour se familiariser avec la diction et les sonorités. De sorte que les français nous rappellent simplement qu’un disque, hé bien, ça demande du temps ! C’est cela qui rend Mendelson rare et important (***). Fauve attirera sans doute un public en mal d’exutoires face à une vie par trop stressante et angoissante : les chansons s’assimilent très vite (si bien qu’on peine à les distinguer les unes des autres d’ailleurs) et correspondent finalement très bien à cette société qu’on appelle de consommation.

(*) Le groupe a vendu toutes ses places pour un concert au Bataclan en 36 heures.

(**) http://fr.wikipedia.org/wiki/Drone_%28musique%29

(***) Toute leur discographie est intéressante, plus particulièrement les deux premiers albums, L’avenir est devant (1997) et Personne ne le fera pour nous


Francois-Corda
8
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le 3 janv. 2019

Modifiée

le 12 juin 2024

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François Lam

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