Voici l'album expérimental ultime. Suicide, San Fermin, Can ou King Crimson peuvent tout simplement pas rivaliser avec ce simple album (double, en plus, à l'époque !). Il est impossible de détacher ce disque de son histoire, parce que lorsqu'on ne sait pas que Lou Reed était une star exaspérée par un succès qu'il pensait immérité au moment de la création de cet album (en tout cas pour des mauvaises raisons), on ne peut que penser : "ça aurait coûté moins cher de poser une lettre de démission directement, non ?". Mais ne nous leurrons pas pour autant : RCA n'ont pas été entourloupé. Ils ne pouvaient pas ne pas être au courant. Mais ils ont quand même eu confiance, et l'ont publié, s'attendant sans doute aux réactions du public habituel de Reed. Preuve définitive que tout était possible, musicalement, dans les Seventies : il est impensable de produire un album pareil aujourd'hui !
Alors, qu'en penser, une fois qu'on sait que Lou Reed aime vraiment cet album et qu'il n'est pas un Fuck monumental ? Que ça ne suffit pas. Le disque, à l'évidence, se veut comme un manifeste d'une musique de demain, celle des machines, en le greffant à ses amours natales que sont les larsens ("Sister Ray" est le plus bel exemple). Il veut toucher à la froideur suprême, la négation absolu de toute notion sonore, l'abolition des émotions, le vertige de l'indiscernable. Et, en ce cas, il a réussi : qui a écouté les quatre parties de 16 minutes dès la première écoute ? Et si vous y êtes parvenus, avez-vous réussis à recommencer ? Et pour combien de temps entre ces deux écoutes ? Personne peut écouter ça un mardi soir après le boulot. Pourtant, on le sent bien que cet album est intéressant, qu'il a un fond, aussi métallique soit-il. Mais y'a pas moyen : si on met le curseur à n'importe quel moment sur tout le disque, on a le même son. Il y a bien des interruptions laissant présager un espoir d'émergence qui briserait cette routine usinière (sur la dernière partie, j'aurais juré entendre Lou Reed marmonner quelque chose !), mais cet espoir est immédiatement effacée par un strident larsen figurant comme un cri insupportable. Et ça, on peut prétexter l'avant-garde autant qu'on veut, l'objectif de neutralité sensorielle total : 1 heure d'un même son, ben c'est long. Et ça, ça peut être valide aussi pour le riff de "Smoke on Water" de Deep Purple ou même celui de "21st Century Schizoid Man" de King Crimson, si ils étaient répétés sur une heure, ils seraient nazes aussi.
Je l'admets, j'ai aimé la sonorité de l'album. Mais il est tellement trop long pour ce qu'il propose que cet album en devient super-suicidaire, et quelques parts ultra-violent. Cependant, je suis sûr que, dans le contexte d'une exposition ou d'un vernissage centrés sur un sujet historique, ce disque en fond sonore est totalement adéquat, et immerge bien le visiteur. Donc, le disque, publié dans les années 70, racontant selon lui le futur de la musique, aurait pour meilleure fonction de présenter un violent passé ? Nom de Zeus.