Migration est le dernier chapitre en date d’une carrière déjà conséquente. Bonobo, musicien iconoclaste et pourvoyeur d’une musique électronique léchée, revient avec un album encore plus dense que les autres. L’accès y est moins évident aux premières écoutes, mais l’ambition est toute autre. Le titre de l’œuvre porte un nom qui a son importance : Migration. Entouré d’un contexte mondial vacillant, Bonobo veut se lancer dans une échappatoire, construire un album libre et surtout sans frontière.
Loin de l’abstract hip hop mais proche par moments du trip hop, ce Migration a des faux airs de Modal Soul du regretté Nujabes. La ressemblance n’est pas dans les sonorités ni dans les boucles synthétiques mais se situe au-dessus de toute trame mélodique : c’est une question de sensation, d’une mondialisation de la musique qui respire les quatre coins du monde avec ses parfums orientaux et ses beats occidentaux.
Alors que sa musique a toujours été lancinante et sa house souvent dépouillée, Bonobo accentue cette sensation de pesanteur par une diversité dans sa partition : les chuchotements de beats rythmiques, les légères notes de piano, ce groove jazzy d’instruments à vents, tout cela se compose et décompose en harmonie (« 7th Sevens »). Migration puise ses qualités dans la recherche d’une certaine forme de l’occupation de l’espace multiculturel, avec ses accolades downtempo, ses réminiscences trip hop (« Outlier »), ses mélodies répétitives, déclinables et protéiformes qui prennent des consonances différentes en fonction de l’écoute (« Kerala »).
En ce sens Bonobo rajoute de la liberté à sa musique et ne délimite pas sa science musicale à une quelconque forme de construction de chansons : le musicien n’hésite pas à allonger la durée de ses morceaux, d’accroitre ce sentiment de voyage onirique, lyrique, proche de tournures post rock à la Mogwai (« Second Sun » ou « Migration ») où les douces vibrations de l’électronique se marient avec finesse aux quelques accords de guitare ou aux frémissements de batterie.
Souvent expérimental dans sa manière d’aborder ses compositions, Migration se veut parfois accessible dans ses textures, avec quelques titres immédiats où les beats électro ne desserrent pas les vices et rentrent en tête sans jamais y sortir, comme sur le palpitant « No Reasons » et le sensuel « Figures ».
Mais pour se faire, Bonobo ne s’amuse pas tout seul : il immisce des voix suaves et souvent mélancoliques. Ces collaborations avec Nicole Miglis ou Nick Murphy ajoute une émotion toute particulière à l’agencement de l’album. Migration c’est comme si The Field et Olafur Arnalds avaient un enfant qui saurait dessiner un univers encore invisible.