Allégorie d'un marché
Loin de moi l'idée de m'acharner sur Maitre Gims en particulier mais à travers lui, c'est tout un marché qui semble s'auto-satisfaire dans cette médiocrité musicale. Alors oui, j'ai écouté cet album...
le 8 sept. 2015
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Depuis quelques années maintenant, Maître Gims se défend de ne plus vouloir parler de "rue" et de "misère", il veut passer à autre chose. Il veut parler d'amour, il veut sentir son âme grandir et, selon lui, la maturité qu'il a sensiblement gagné depuis l'album Subliminal se ressent dans Mon cœur avait raison. Ce dernier contient, toujours selon lui, des pistes de meilleure qualité, plus abouties, moins renfermées sur l'artiste qu'il est et plus ouvert sur les autres, sur l'univers qui l'héberge.
Quelle belle ambition, mais n'est-ce pas là prétentieux et, surtout, limité artistiquement que de continuer à nous servir des titres profondément aseptisés qui n'ont, pour aucun d'eux, nulle portée si ce n'est de passer dans les plus grandes radios de France, écoutées par le plus grand nombre.
Maître Gims n'a de cesse de répéter son admiration pour des noms tels que Mylène Farmer ou Johnny Halliday. C'est un fait puisque le black à lunettes, en étant le port-étendard d'un guetto conquérant, veut gagner définitivement sa place dans la cour des patrons de la scène musicale. On commence alors à se demander si, malgré le niveau abyssal de ses textes, tout cela n'a pas une certaine légitimité en voulant divertir bêtement mais gentillement ses auditeurs. "On commence", mais ce vague sentiment n'aboutira pas au sortir de Mon cœur avait raison.
Découpé en deux parties, intitulées Pilule Bleue et Pilule Rouge, le CD nous traduit la démarche du rappeur : tout le monde peut manger dans son assiette (l'album, NDLR), que vous aimez le vrai rap, le raï, la r'n'b, la pop, son souhait est que chacun y trouve son compte. Mais le problème se pose : en voulant être un touche-à-tout, Maître Gims n'est bon en rien, très loin d'exceller, au mieux cela s'avère moyennement audible. Le cul entre deux chaises, voilà comment je caractériserais ce projet qui sera, assurément, un succès pour la Wati B. Pas au point d'atteindre les ventes records de Subliminal, mais un succès dans une moindre mesure.
Pour en venir plus sérieusement sur l'album en lui-même, le premier CD ne m'a guère convaincu dans sa globalité. On ne retiendra rien de franchement mémorable, cette première partie se décline en plusieurs morceaux qui n'ont que pour seul but de transporter et d'apaiser, les mélodies ne sont pas dégueulasses. D'autres sont affreusement mal découpées et, à plusieurs reprises, Maître Gims ne passe pas loin de la catastrophe, exagérant sur pas mal de tournures de phrases («Ok avant c'était "am, stram, gram, pic et pic et colégram". Maintenant c'est Instagram, et j'te bibi quelques grammes») ou se laissant tenter par la facilité («A, B, C, D, Monsieur, voilà mon CV» ; «J'confierai pas Aicha à Jim car il n'est pas carré [...] A, B... C, D») ; en outre il ne fait pas preuve d'une réelle implication artistique. Il pourrait s'atteler à cette tâche "ardue" qui est de donner du bon temps musical au plus de monde possible, mais pourquoi se compliquer la vie quand l'objectif à atteindre n'en demande pas autant. Maître Gims, à travers sa discographie, n'est plus comme à l'époque de l'Écrasement de tête, il ne fait plus un travail sur "soi-même", il fait un travail sur les autres, sur ceux qui écoutent sa musique avec la bouche et non plus les oreilles. (Jhon Rachid, si tu me lis...)
La pilule rouge est moins inégale que son compère et constitue grosso-modo la deuxième partie du CD, elle laisse émerger quelques lueurs d'espoir pour les fans de la première heure. On a envie d'y croire et d'y entrer, comme quand on voit de la lumière chez quelqu'un et qu'on y voit l'ambiance qui y règne (ça fait beaucoup de "y"), on veut être de la partie. Le membre de la Sexion d'Assaut fait donc ici l'étalage d'un rap qui lui colle à la peau, dont il ne peut se détacher éternellement et sur lequel il reviendra, à tord ou à raison. Maladroitement, ou sans s'en rendre compte, Maître Gims montre les signes d'une lassitude, s'enfonçant dans cette image reluisante signifiant qu'il n'a que faire du rap game et que sa divine personne est sur une autre planète («Ça va bientôt faire six ans d'règne [...] Et t'hésites à m'appeler "Superman"») ; se considérant au-dessus de la mêlée et jugeant qu'il n'est pas concevable que d'autres puissent faire ce qu'il fait musicalement.
Un an et demi, c'est le temps qu'il aura fallu pour mener à terme ce projet. Avec des refrains qui font mouche et des mélodies dont on peut facilement s'imprégner, à tue-tête, Maître Gims s'en tire à son avantage en garantissant un règne qui continue de durer, pour cela des sacrifices auront été nécessaires et ça, le pilier de la Sexion, en a fait au point de tomber dans la surenchère. De la même manière que Sublimal, son nouvel album Mon cœur avait raison est donc, comme annoncés par de courts extraits, une déception et est d'une imperfection évidente. Écriture bancale, chant souvent douteux ou même très poussif, featurings très discutables (les potes avant tout, hein, on fait croquer la famille...). Cela s'écoute sans problème, on en ressort pas énervé pour autant, mais parfois on a envie d'insulter ce guignol de Maître Gims car on le sait capable de beaucoup mieux, vraiment.
*
https://www.youtube.com/watch?v=TgfLNObfwLg
(Comme cela a déjà été précisé, l'album est partagé en deux parties que Maître Gims a décidé de nommer "pilule bleue" et "pilule rouge". A l'image de Néo, le rappeur de la Wati B a fait le choix de concentrer sa carrière sur des tubes dignes de NRJ, des tubes qu'on retrouve majoritairement dans la pilule bleue, pour ma part j'opterai plutôt pour la pilule rouge, de toute évidence... ne serait-ce que par principe.)
Créée
le 29 août 2015
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