Opeth, épisode 2 : le chef d'oeuvre matinal
1996. Premier album remarqué et qui suscite de la curiosité dans la presse spécialisée envers le groupe suédois. Qui est toujours un quatuor local pour le moment.
Morningrise est "le" chef d'oeuvre de la première partie de la carrière du groupe, qui s'achèvera au disque suivant pour repartir sur de nouvelles bases ensuite. Ça commence avec un visuel mémorable, une photo en noir et blanc, qui évoque le passé, le silence, la solitude et le froid. Soit beaucoup de choses qui vous viendront à l'esprit à l'écoute d'un tel disque. Photographie fantomatique d'un étrange bâtiment au bord de l'eau, dont le reflet quasi symétrique souligne l'étrangeté et l'abandon, il s'agit d'une des plus belles pochettes de disques que je connaisse dans ce registre.
Mais passons à la musique. 5 morceaux - 6 si on compte la réédition de 2000 qui ajoute une démo d'époque au son catastrophique est qui est surtout un brouillon de thèmes que l'on retrouve sure "Advent" - aucun sous les 10 minutes, et même le titre le plus long de la carrière du groupe, le faramineux "Black Rose Immortal" et ses plus de vingt minutes.
La frontière entre un grand disque et un chef d'oeuvre est parfois ténue. Pour ma part, lorsqu'il n'y a pas de déchet ou de remplissage, que toutes les chansons sont également mémorables (pour diverses raisons, certes) et que l'album contient une ou deux pépites dotées de cet inexplicable supplément d'âme qui en fait des tubes, ou dans un registre moins commercial comme celui-ci, des classiques instantanés du répertoire du groupe, c'est bien le cas.
"Advent" et ses premières notes de basse résonnantes, courant comme le long d'un corridor vide et battu par le vent et les feuilles mortes, puis lancé sur un tempo rapide à travers un tourbillon grisonnant de riffs endiablés. Ses breaks plus lents, méditatifs. Sa batterie presque jazz par moments. "Nectar", son titre somptueux, ses quelques harmonies vocales marquantes.
Et surtout les trois autre, les monuments du disque. Le superbe et mélancolique "The Night and The Silent Water", avec une construction exemplaire, un crescendo acoustique - électrique - hurlé proprement dingue, ses couplets en chants clairs déchirants, quelques murmures ici et là aux moments les plus intenses. "Black Rose Immortal", ce monstre sidérant et imprévisible, ce bloc de marbre où la pierre la plus noire et la plus dure, luisante comme de l'obsidienne, alterne avec des éclairs aveuglants de calme et de beauté.
Puis le silence, la plénitude et le repos mérité de "To Bid You Farewell", première "ballade" du groupe, entièrement en chant clair, où Âkerfeldt démontre l'étendue de ses capacités dans des registres plus traditionnels. Morceau principalement acoustique mais construit comme "Stairway to Heaven" sur un finale électrique, j'aime à le situer quelque part entre une inspiration floydienne et zeppelinienne, en plus contemporain bien sûr. Sorte de plongée méditative très forestière - la nature revêt une importance cruciale de le folklore et la littérature scandinave et c'est très visible dans les textes du groupe - qui annonce de grands titres à venir comme le plus jazzy "Face of Melinda".
Avec cet album absolument somptueux, Opeth m'a prouvé qu'il était, sinon le meilleur, un des groupes les plus fous, les plus intrigants, les plus passionnants de ces 20 dernières années. Mon Led Zeppelin contemporain, et je pèse mes mots.