L'un des chefs d'oeuvres de Tom Waits vit donc le jour peu de temps avant le nouveau millénaire. Il est pourtant en dehors du temps. A la fois ancré dans une époque, celle du siècle dernier, au début même de celui-ci, il semble pourtant tellement intemporel. Il est à la fois la mémoire et la succession. Un de ces albums que les Stones n'ont jamais pu réaliser après les seventies, les mêmes qui se revendiquent de tout un pan de pionniers du Blues.
Tom Waits a cette classe inouïe, débridée, cassée de toute part. Il pourrait récupérer trois morceaux de tôle dans la déchetterie du coin pour en faire de la musique brillante. Tous les matériaux qu'il touche passent du brut au vivant étincelant. Son Mule Variations, en bon grand frère mature de Bone Machine, déjà un chef-d'œuvre, passe l'épreuve du temps sans sourciller.
L'album est aussi mal aimable que beau comme la nuit. Toutes ses ballades, c'est l'Amérique rêvée. Qu'est-ce qu'aurait donné une collaboration entre lui et Springsteen ? Même ses plus violentes éructations rock sont un modèle de puissance. Au piano, guitare basse, c'est un bonheur de tous les instants. Et lorsqu'il cause sur What's He Building et son atmosphère unique, on s'asseoit et on écoute. Oui, Mule Variations est un grand disque, la fusion parfaite de tous les personnages incarnés par Waits depuis les seventies.