Music Complete
6.5
Music Complete

Album de New Order (2015)

New Order, c'est toujours un peu la même histoire. Celle d'une relation forcément un peu compliquée, entre passé et présent, coincée entre les âges et les influences, le groupe étant capable du meilleur comme du pire, de se surpasser comme de se trahir.
Et pourtant il y a ce truc qui accroche, nous fait tenir. Parce que dans le plus triste des cas, il est impensable de ne pas jeter même une oreille amusée sur le travail de Bernie et ses potos. C'est comme ça. Nous voici donc en 2015, et le grand retour du groupe le plus borderline du monde se passe autour de la parution d'un nouveau disque original (oublions le "Lost Sirens" qui exhumait presque fièrement les chutes du disque précédent, paru alors près d'une décennie auparavant).


Le disque s'ouvre donc sur une chanson au titre prometteur, Restless, pourtant pas si tourmentée que cela, et surtout qui fait très vite craindre le pire autant qu'elle rassure. Loin d'être un ratage total, un titre qui ne fait pas de vagues disons, et certainement pas de celles qui traduisaient dans un autre siècle les signaux du premier pulsar sur fond (très) noir. Simplement une pop plutôt bien foutue mais un poil trop proprette, taillée pour les radios, à base de guitare et de claviers gentillets, contenant un refrain diablement entêtant, ce qui sera par ailleurs un élément assez récurrent sur le disque.


Singularity amorce cet opus sous un angle encore différent, comme s'il voulait effectuer une mise au clair après un faux départ (peut-être pas si faux que ça d'ailleurs). Car si nous sommes toujours en terres connues avec ce son si 80's dont New Order a (ab)usé jusqu'alors, un vrai travail de fond s'opère, les effets et sonorités semblent avoir été un peu rehaussés, dans le but de coller à un esprit correspondant plus au traitement du son comme on pouvait l'avoir dans l'âge d'or électronique des années 90. S'il y avait longtemps que ce n'était pas arrivé, et que l'on se sent un peu coupable d'y penser tant cela semble inévitable dès qu'il s'agit de parler de la bande de Manchester, l'atmosphère du morceau comporte de savoureux relents du temps où ils étaient encore les divisions de la joie. Puis le titre prend un tournant très plaisant, s'aventurant dans une musique électronique minimaliste savoureuse et rodée. Si ce bon vieux Hooky n'est plus de la partie, son remplaçant tient une basse tout aussi monumentale. Intéressant aussi de noter que les boites à rythmes gagneront par la suite une guerre contre la vraie batterie, toujours tenu par le fidèle mais discret Stephen Morris, même c'est finalement un truc très inhérent au royaume du Nouvel Ordre.


Vient alors Plastic. Et là c'est une vraie baffe, dans le très bon sens du terme. Le point d'orgue de l'album, un vrai joyau, groovy et dansant, tube imparable et production impeccable, laissant paraître une formation au top de sa forme, même si le synthé très Moroder et les vieux souvenirs du sacro saint Blue Monday se font ressentir, notamment grâce à cette construction en multicouches, ces synthés cheap mais irrésistibles et ce kit techno à tomber par terre. Et rien, non rien ne peut entraver ce plaisir un poil coupable qui ne fait que concrétiser ce que l'on attendait, ou plutôt ce que l'on espérait (presque) plus. Sept minutes de pure plaisir, sommet inégalable du disque et même de la discographie de New Order jusqu'alors.


Tutti Frutti poursuit cette direction, mais avec cette fois la disco comme fer de lance, clairement assumée dans une ligne mélodique décomplexée et lumineuse, sans concessions. Je ne sais pas si Bernard Sumner est vraiment plus à l'aise qu'à une certaine époque, mais c'est en tout cas l'impression qu'il donne avec ce dernier titre du trio dansant de ce début de disque, d'une redoutable efficacité, qui vient confirmer la réussite d'une pop surpuissante, hédoniste et tout simplement jouissive, but toujours atteint dans sa chanson-jumelle People On The High Line, l'effet de surprise en moins et la répétition en plus.


Et là ça se gâte un peu : si le thème musical de Stray Dog ravive une nouvelle fois les fantômes du groupe passé, c'est définitivement long, répétitif et trop peu passionnant, et Iggy Pop déclamant un étrange poème sentimental par-dessus n'arrange pas vraiment les choses. Morceau en demi-teinte donc, mais une belle tentative tout de même. Academic se loge dans une niche bien connue de l'univers de la bande, celle des morceaux pas mauvais mais loin d'être inoubliable non plus, tout le contraire de Nothing But A Fool qui convoque quant à lui d'étranges tendances acoustiques. Jusqu'alors très peu (voire pas du tout) exploitée par le groupe, cette facette rappelle sur certains point le dernier opus de Thurston Moore du point de vue de la recherche des harmonies et des motifs minimalistes gravitant autour d'une guitare clean dans la forme mais très punk dans le fond. Unlearn This Hatred, sous ses faux airs d'Underworld (franchement, cette boucle, c'est rien d'autres qu'une version dé-timbrée de "Push Upstairs" non ?) fait à merveille son boulot d’hymne synth-pop, mais amorce surtout le dernier virage du disque, et pas le plus glorieux.


C'est donc avec une profonde déception que s’enchaîneront The Game et surtout le difficilement supportable Superheated, symbole d'un rock dansant dépassé, flirtant sans cesse avec les pires heures de la musique électronique, euro dance en tête, et le mauvais goût mélodramatique.. Je n'oserai avancer le fait que le chanteur des imbuvables Killers posant sa voix dessus y soit pour beaucoup mais tout cela laisse un peu dubitatif, surtout pour le final d'un album qui avait pourtant commencé sous les meilleurs auspices.


Mais après tout, c'est bien pour toutes ces tentatives aboutissant parfois à de vraies réussites et surtout ce charme kitsch omniprésent que l'on aime (ou pas) New Order. Impossible pour moi de ne pas avoir le sourire à l'écoute de ce disque donc, et de le remettre illico à son début une fois celui-ci terminée.
Ce n'est pas de la grande musique, et ça n'en sera probablement jamais, mais peu importe : ils sont là, et quand d'autres (Peter Hook et ses lumières notamment) s'évertuent à célébrer le répertoire passé pour mieux fuir le présent, New Order décide partiellement d'accepter le temps qui passe à sa manière, en cherchant encore à introduire un souffle neuf et actuel dans ses synthés vieillissants, avec plus ou moins de réussite, mais toujours dans un élan salutaire.
Il y a surtout derrière tout cela cette idée de libération, d'affranchissement des genres, inutile de chercher à savoir si ce disque s’inscrit plus dans un univers rock, dance, pop, électronique ou carrément disco, l'essentiel est de ne jamais rien se refuser, une quête du plaisir permanente, tantôt naïve et innocente, tantôt grave et amère, mais dans un registre totalement assumée, peu importe le futur et le passé, le bon et le mauvais goût, le génie et le manque d'inspiration, tout se mélange et forme une entité, cette Music Complete justement, portée par une esthétique toujours plus minimaliste et concrète de Peter Saville, à l'image du disque : synthétique, simple, directe, colorée et chatoyante, à défaut d'être réellement percutante et novatrice.


Il y a 30 ans sortait "Low-Life", et pour New Order comme pour son auditoire, la cure de jouvence ne faisait que commencer.

Kamille_Tardieu
7
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le 10 oct. 2015

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Le  K

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