Vous êtes à une soirée pénible, dans un club gentillet, des lycéennes se trémoussement mollement, le champagne mousse lentement...Vous êtes trentenaire, cela vous ennuie au plus au point désormais, cette musique ne vous parle plus, ces jeunes vous insupportent. Le problème est peut-être que vous êtes vieux, et qu'eux, ils sont jeunes. Ou bien est-ce aussi, un peu, la musique contemporaine.
Car la musique de Coldplay est devenue une pop électronique gentillette, inoffensive, adolescente. Les collaborations avec Selena Gomez et BTS ne sont là que pour flatter les coeurs adolescents qu'on veut voir danser sur les plages l'été, dans les boites de nuit moites où l'on ment sur son âge pour rentrer et où on prend des cocktails sans alcool pour faire comme les grands. Hormis Higher Power et "Heart", assez sympathiques, avec de jolis choeurs, les quelques effets musicaux intéressants sont aussitôt noyés dans la moiteur et la brume des discothèques. Le concept est d'explorer différents styles, différentes planètes, différents univers, et c'est vrai, c'est varié, mais sans idées, et tout passe trop vite, les morceaux à peine bâtis s'effondrent, vitesse lumière, noyée dans les effets, spaghettification. Même les noms des chansons, des Emojis, annoncent la couleur, ça tombe bien, la couleur c'est le thème de l'album. Mais visez des tons très très pastels, voir fadasses.
L'album transpire en effet la fadeur, très loin très loin des astres qu'il est sensé décrire. Pourtant, un astre surplombe tout le reste, tellement lumineux par rapport aux autres qu'il les éclipse tous, il s'agit de Coloratura, qui rehausse considérablement la note de l'album. Voilà un vrai morceau ambitieux, dix minutes de construction mélodique, plusieurs styles, dans la pure veine de Coldplay, avec du piano offrant de très bons moments, mais aussi des lignes de basse, de la guitare, un retour du rock, plus progressif, avec ses petits effets, ses variantes, ses embardées. On marche quelque part entre Coldplay, The Beatles et Pink Floyd (période Division Bell) et de l'électro bien planante. Dix minutes de plaisir, retrouvé, le temps d'un instant, dix minutes où la musique nous grandit.
On croirait que Coldplay, noyé dans sa propre soupe commerciale a oublié qu'il avait du talent, ou en était privé, volontairement ou non. Or, Coloratura rappelle que ce groupe est encore doué, Chris Martin et sa voix si singulière, et son piano si mélancolique, en tête. Mais un peu comme le réalisateur a qui on donne des films de commande, Coldplay fait une musique commerciale désormais et les producteurs leurs permettent, sur un quart de l'album tout de même, de produire un morceau de qualité, personnel, exigent mais qui dans le style de Coldplay est très accessible, capable d'attirer les oreilles novices comme plus expérimentées avec son air mélancolique, sa ballade doucereuse, ce sens inné de la mélodie de Chris Martin. Tant d'originalité au milieu de tant de platitude, c'est un album oxymorique. On a le sentiment, décevant, forcément, que Coldplay n'avait que cette chanson de 10 minutes à offrir et que c'était trop court pour faire un album. Alors, quelques collaborations avec les stars du moment, peu intéressantes, et le tour est joué, on atteint les 40 minutes...
Bien sûr Coldplay a lentement dérivé vers ce style. Il n'est pas ici en rupture, il n'est même pas décevant. Ses albums précédents avaient déjà cet air niais et gentillet, la pop "pop corn", l'électro roudoudou et crop tops. Ici, un pas de plus est franchi. Peut-être ais-je vieilli, que je suis devenu un vieux réac, et sûrement qu'eux également. Les modes passent. La musique aussi. Avec le temps, elle vieillit. Coldplay est l'un des derniers groupes de pop-rock, qui a perdu peu à peu tout son rock, pour ne garder que la pop, parce que le rock, avec l'avènement du rap, du hip-pop et de ses dérivés est mort, ne trouvant un supplétif que dans l'électronique ou quelques mélodies mêlées au style contemporain. Coloratura est la marque d'une époque en train d'être révolue.
Coldplay a toujours été une musique pour adolescents mais autrefois Coldplay faisait pleurer les filles, les jeunes coeurs se grisaient de cette mélancolie, adossés à la fenêtre de leur chambre d'adolescent à ressasser des amours perdus de jeunesse. (Parachutes et Rush of blood to the Head étaient des fabriques à larmes). Aujourd'hui il ne faut plus être triste, il ne faut plus pleurer. Il faut switcher sur Tinder, passer d'un amour à l'autre, comme on change de musique ou d'humeur. Reste que Coloratura met tout le monde d'accord, ce n'est peut-être donc pas qu'une incompréhension de ma part, mais avant tout une affaire de qualité musicale.
J'ai vieilli, l'adolescent en moi s'éloigne. Coldplay fait danser les jeunes d'aujourd'hui et ennuie les vieux comme moi. On offre à la jeunesse de quoi se trémousser sans risque, à peine quelques frissons lorsque surgissent les voix de BTS, quelques cris de groupies aussi, mais tout cela ne sont que les restes affadis d'une époque musicalement plus sophistiquée.