My God Is Blue par Benoit Baylé
Il semblerait que cette année 2012 soit faste là où peu l’attendent. Il y eut déjà Stubb (6 février 2012), ce méconnu trio anglais maniant stoner et hard rock seventies avec une maîtrise rare. Il y eut aussi la sympathique révélation Twin Arrows (6 avril 2012), témoignage d’un rock somme toute classique mais revigorant, devenus depuis les nouveaux chouchous d’un certain Philippe Manœuvre. Plus récemment, dans le rayon « surprises », il y eut enfin et surtout le deuxième album du compositeur allemand Thomas Bücker, alias Bersarin Quartett (20 avril 2012), une immense claque prochainement décortiquée entre nos pages. Cela établi, en ces jours météorologiquement instables, l’étonnement ensoleillé est français et se nomme Sébastien Tellier. Boute-en-train pince-sans-rire et musicien iconoclaste, Sébastien Tellier aurait pu finir sa carrière médiatique comme nimporte laquelle de ces rigolades de la ridicule cérémonie de l’Eurovision à laquelle il participa en 2008. Mais, à l’inverse de nombre de ses camarades français ayant joué pour l’Europe entière, sa carrière ne s’est pas achevée avec ce concours ; il s’agissait plutôt d’une fantaisie : pour un artiste adulant les ringardises les plus kitsch, il n’est de meilleur endroit où poser sa folie que les sols de la disco/dance européenne. C’est avec cette même espièglerie qu’il avait séduit un public plutôt restreint en tant que compositeur de la bande originale déjantée de Steak (2007), le nanard absurde pas si mauvais pour qui avait su faire preuve d’une dérision saugrenue. L’art original, Tellier considère ses albums comme de nouvelles expériences, l’occasion, dans un élan quasi-schizophrénique, d’associer à chacun d’eux une de ses nouvelles personnalités. Sexuality (2008) le plaçait en tant que prédicateur sexuel sous les auspices d’une musique électronique déjà très kitsch mais plutôt réussie. Quatre ans plus tard, pas plus mature pour un sou, le barbu évangélique revient avec un personnage d’ordre carrément raëlien, gourou des sens et du sexe. La pochette de My God Is Blue (23 avril 2012) ne trompera personne : il s’agit ici de se plier à l’apologie de la démesure, du mégalomaniaque, voire du grand n’importe quoi à prendre au sixième degré.
L’historien du rock au fait des musiques actuelles aura probablement remarqué une récente recrudescence des influences progressives chez certaines têtes d’affiche de la musique électronique française. Hier Justice appelait aux réminiscences de Yes avec son très rétro Audio, Video, Disco ; aujourd’hui Sébastien Tellier ne rappelle pas seulement Yes, il joue de toute l’imagerie progressive. En apparaissant maître mégalomane, concepteur de concepts et amateur de kitsch aux relents d’Hammond ’72, il se joue du rock progressif tout en en faisant assez subtilement son fond de commerce. La pochette à la gloriole superbe en atteste d’avance : l’œuvre sera excessive. Et s’il est une personne en France à pouvoir se permettre d’être déraisonnable, c’est bien Sébastien Tellier. C’est une certitude : l’album serait mauvais que, sous couvert de ringardise voulue et de second degré omniprésent, tout le monde crierait quand même au génie. Il s’agit d’ailleurs peut-être de sa plus grande réussite : celle de ne pas être un génie mais de parvenir à se faire passer pour l'un d'eux à coups d’absurdités et de non-sens malicieux.
« Coiffeur pour lui, pour elle. C’est quoi cette histoire de coiffeur ? C’est n’importe quoi. Oui, mais c’est beau » (« Against The Law »)
Oui, parfois, c’est vraiment n’importe quoi. Comme le début de ce « Yes, It’s Possible » aux esprits transylvaniens qui sortent de nulle part. Comme le solo de guitare improbable de « Draw Your World ». Comme le « Pépito Bleu » à la fois gainsbourien et inspiré du pire des choeurs d’ERA. Pourtant, dans cet album à considérer comme un ensemble, les moments de grâce sont nombreux, une grâce paradoxale car l’auditeur se sent parfois tiraillé entre l’envie d’éclater de rire et celle de contempler toute la beauté de l’œuvre. Réelle, tantôt orchestrale, tantôt funky, cette beauté unique, aux confins occultes d’une planète bleue où il fait bon vivre, distille ses joies tout au long de ces quarante cinq minutes parfois inégales mais toujours empreintes d’une bonne volonté et d’une audace salutaire. Il faut remercier Sébastien Tellier pour ses ambitions démesurées, car cet album est à la hauteur de ses prétentions. Meilleur, dans son genre déluré, que le dernier Justice, il satisfera l’amateur de musiques électroniques différentes, à la fois désuet et complètement dans l’ère du temps. Espérons qu’il ne faudra pas quatre ans de plus pour découvrir le prochain personnage du barbu aux lunettes noires.