Native
6.7
Native

Album de OneRepublic (2013)

OneRepublic ou Ce que le temps fait aux choses et aux êtres

La toute première chanson extraite de Native que j’ai entendu fut ‘Feel Again’.
Je fus un peu surprise par la nouvelle teinte électro qu’avait pris la musique de OneRepublic mais comme je reconnaissais toujours plus ou moins l’empreinte inimitable du groupe, cela me plut tout de même. Il y avait la même harmonie étrange entre les différents instruments, la même voix indescriptible au centre de la partition qui voletait entre les interlignes, s’élevant dans les graves aussi bien qu’elle plongeait dans les aiguës et surtout, il y avait cette complicité palpable entre les musiciens que je sentais vibrer à chaque note.
J’écoutai et réécoutai fébrilement ‘Feel Again’ de nombreuses fois, tâchant de me persuader que cet album serait comme les précédents, aussi noble que poétique. Quelque chose avait changé pourtant, mais je ne parvenais pas encore à l’identifier. Le son n’était plus aussi propre et net qu’auparavant, l’architecture musicale de la chanson me semblait moins travaillée, moins stable que les précédentes. Il me semblait que les intentions du groupe, elles aussi, avaient changé. Les semaines passèrent, Native dévoila finalement ses titres dans leur intégralité avec notamment son fameux single ‘Counting Stars’ que toutes les radios se dépêchèrent de reprendre en boucle. C’était en 2013.


Je suivais le groupe depuis un certain temps déjà, l’ayant connu dans mes jeunes années alors que j’étais encore au lycée, en 2009. Un soir de pluie (et d’ennui) j’étais tombé par hasard sur leur premier single de l’époque ‘Apologize’– avec l’excellent clip d’Aaron Platt – et je l’avais adoré. Je découvris ensuite -parmi d’autres titres moins connus- ‘Stop and Stare’, ‘Say (All I Need)’ et plus tard ‘All The Right Moves’. Au début, je n’y attachai pas une importance capitale, pensant que comme tout ce que j’avais écouté jusqu’ici, je finirais pas me lasser ou par tomber sur une de leurs créations qui me déplairait… mais non. Chaque morceau me touchait avec une justesse confondante. J’achetai leur premier album Dreaming Out Loud que je trouvai beau au-delà du raisonnable, puis le second, Waking up.


Avec OneRepublic, j’entrai dans un monde nouveau, totalement fascinant par son audace, son intelligence et surtout la sincérité qui en émanait. Je me mis à écrire, portée par ce que la voix de Tedder faisait naître dans mon esprit, et c’est ainsi que mon premier roman vit le jour. Les personnages de cette première fiction sont nés, littéralement, de la musique qui me les a inspirés, avec tout un univers autour d’eux, lui aussi directement issu de l’œuvre de OneRepublic. Leur création avait probablement porté des milliers d’autres formes de créations dans le monde : un peintre, un écrivain, un photographe, un danseur, un sportif de haut niveau, un philosophe, un comédien... Qui sait ?
Waking up est à mon sens, le plus réussi de tous les albums du groupe à ce jour.
Ce n’est pas, en effet, un disque comme il en sort tous les ans dans les grosses maisons de disques, vide et sans intérêt, sympathique le temps d’un été et oublié l’année suivante. Bien peu de radios se penchèrent d’ailleurs dessus en France, ce qui était paradoxalement un signe encourageant. À cette époque, je voulais écrire, j’avais des choses à dire mais je ne savais pas comment m’y prendre pour créer. Il y avait quelque chose de profondément enfoui en moi qui ne demandait qu’à être raconté, une sorte de rêve conscient et inconscient à la fois avec des visages, des idées, des bribes de dialogues mais il me manquait de l’énergie pour porter tout cela vers le monde extérieur. Je savais que ce que je voulais créer n’existerait jamais que de deux façons possibles dans le monde réel: soit enfermé dans mon esprit, soit sur le papier. Waking up m’aida à porter mon histoire au-delà de moi-même et à l’imprimer en petites lettres noires sur du papier recyclé. Tedder et sa bande furent cette lumière et cette inspiration qui me faisant tant défaut.
Pour le groupe, l’album fut un succès, cela dût sonner pour chacun des membres comme une confirmation de leurs espoirs. Leurs débuts en 2002 avaient été mitigés, leurs pérégrinations musicales duraient depuis à peu près cinq ans ; des déceptions, ils en avaient eu, dès le départ, avec le premier contrat chez Columbia Records qui ne les mena nulle part (sinon sur MySpace) ou avec le faux succès d’Apologize revisité par Timbaland, qui les lança et en même temps, donna encore plus de gloire au producteur qui en avait déjà beaucoup… À présent, une nouvelle voie s’ouvrait à eux. Ils avaient du succès, donnaient des concerts de plus en plus importants, obtenaient plus de moyens pour réaliser ce qu’ils voulaient.
Longtemps, je me suis demandée ce que Zach Filkins, Drew Brown, Brent Kutzle, Eddie Fisher et Tedder avaient en tête au moment où ils composaient ensemble. D’ailleurs comment composaient-ils ? Comment écrivaient-ils ? Il me semblait, en écoutant leur musique que celle-ci sortait tout droit de leur vie et de leurs expériences personnelles et que les paroles cryptiques, comme dans ‘Tyrant’ l’étaient volontairement afin de préserver une vérité qui devait rester cachée. J’étais saisie au cœur, ce que je ne pouvais m’empêcher de trouver bizarre au fond car j’avais conscience que pour beaucoup de gens, OneRepublic ne serait jamais rien d’autre qu’un groupe de pop pour adolescentes avec un beau chanteur blond aux yeux bleus à sa tête et un sac rempli de mélodies simples et commerciales. Pourtant, le charme opérait et il était puissant ; il me donnait une force et un optimisme que je n’avais jamais éprouvé jusque-là. Dès que j’entendais la voix de Tedder, j’avais l’impression d’être un naufragé qui arrivait enfin épuisé sur une île hospitalière, à l’abri de tout danger. Je dois préciser que Tedder, en plus d’être un bon pianiste et un chanteur doté d’une large tessiture de voix était un excellent compositeur, qui écrivait dans l’ombre pour de nombreux artistes largement plus connus du grand public qu’il ne l’était alors. Plusieurs années plus tard, je me rendis compte que les quelques chansons qu’il avait écrites pour des artistes que je n’écoutais pas d’habitude figuraient déjà pour la plupart sur mon mp3. Je ne possédais parfois qu’une seule chanson de l’artiste en question : celle que Tedder avait composé.


Voilà comme OneRepublic devint ainsi pour moi le premier et - à ce jour- le seul groupe dont les chansons me plaisent encore toutes sans exception sans jamais me lasser. Leurs harmonies de cette époque sont restées gravées dans le marbre, si l’on peut dire.


Malheureusement, le temps passe et les artistes évoluent. Native, loin d’égaler ses aînés, fut le premier signe annonciateur d’un changement radical de cap chez le groupe. Passée la surprise du premier single, je découvris d’autres morceaux comme ‘Counting Stars’, ‘Life in Colors’, ‘Preacher’, ‘Something I need’… Je n’étais plus aussi convaincue qu'à mes débuts. Heureusement, certains titres débordaient encore de cette énergie étrange que j’avais connu dans les premiers albums comme ‘Burning Bridges’, ‘Au Revoir’, ‘What You Wanted’ ou encore ‘Can’t Stop’ .
Je les écoutais souvent, sans doute pour me rassurer et me dire que toute la magie n’avait pas pu s’enfuir en quelques années.
Il fallut pourtant se résoudre : entre Waking Up, (2009) et Native (2013), quelque chose s’était brisé.
La musique douce et intimiste des débuts avait laissé place à une sorte de mécanique froide et technologique (entendez par là électronique). Le violoncelle de Brent Kutzle avait perdu de sa voix, on ne l’entendait plus autant qu’autrefois et Tedder semblait avoir laissé beaucoup de lui dans ses vieux cartons car les chansons étaient souvent impersonnelles et dans un style beaucoup plus formaté que les précédentes. Naturellement, les radios adorèrent et repassèrent en boucle les morceaux que j’aimais le moins.


Trois ans plus tard, OneRepublic, que je suivais tout de même car je restais attachée à ce groupe qui avait été toute ma jeunesse, annonça la sortie de son quatrième album, intitulé Oh My My.


Il s’en passe des choses en trois petites années. Tedder, ce jeune homme au sourire contagieux que j’avais quitté légèrement en surpoids, habillé avec des chemises à carreaux, les cheveux courts et légèrement frisés avec un petit chapeau sur la tête pendant ses concerts avait beaucoup changé, tant physiquement qu’artistiquement. Lorsqu’il réapparut après Native et peu de temps avant la sortie de Oh My My, le chanteur amaigri arborait une nouvelle coupe étrange, les cheveux longs laqués sur le dessus de la tête et rasés sur les tempes. Les chemises simples avaient laissé place une improbable veste en cuir noir. À son cou, une grande croix en métal et des faux-airs de ‘type-méga-à-l’aise-partout’. Je regardai Tedder et sa bande se mouvoir sur scène et les écoutai parler à leur public. À la sortie de Native, le chanteur avait confié à un journaliste venu l’interviewer qu’il était très excité par ce nouvel album et que c’était le meilleur que son groupe ait jamais réalisé. Trois plus tard, lorsqu’un autre journaliste revint l’interviewer pour le quatrième album, il eut droit à la même phrase. Nous étions en 2016.
Un jour, invité à une émission de radio (qui était aussi filmée…), Tedder fit une reprise de la chanson d’Adele, ‘Send my love’. Je remarquai avec un certain amusement sa gestuelle avec les mains en chantant, étonnement proche de celle d’un rappeur américain.
Ces choses étaient de l’ordre de l’apparence mais elles étaient révélatrices du rapport de Onerepublic à sa notoriété grandissante et de son positionnement dans le paysage artistique d’aujourd’hui.
Le premier titre dévoilé de Oh My My fut ‘Wherever I Go’, un single que j’eus beaucoup de mal à reconnaître comme étant de la veine de Onerepublic, parce que ce qu’il me semblait à l’opposé de ce qui m’avait toujours plus chez ce groupe. Il manquait une chaleur humaine terrible à ce morceau, en même temps qu’une certaine confidentialité dû au propos bien que celui-ci relate une expérience des plus humaines. (Il est question d’amour, d’une personne qu’on ne parvient pas à oublier, de sensations fortes que l’on ne parvient pas à retrouver, de magie et de folie. Rien que ça). Le clip mettait en scène un homme dans sa routine ennuyeuse au travail décidant de jeter aux orties le sérieux et les convenances pour aller danser sur les tables de son bureau open space façon Saturday Night Fever… Je détestai assez rapidement la vidéo, que je trouvais franchement de mauvais goût et très commerciale, avec cette manie idiote d’installer une Rave Party sur fond de déception amoureuse pour obtenir le succès le plus large possible auprès des ados romantiques et des adeptes de la bringue. David Guetta faisait déjà la même chose depuis quelques années, avec un succès étourdissant ; c’était suffisant. Je délaissai donc très vite ce titre, qui contrairement aux autres, ne brûla pas dans mon esprit comme un petit feu de joie éternel. Le second single, ‘Kids’, quoique lui aussi très commercial car formaté/calibré pour devenir un hit dans tous les classements européens, me déplut moins, car il reprenait le thème de l’enfance, sujet cher au groupe. Évidemment, à côté de ‘Fear’, le gouffre était édifiant.
Le désespoir qui était né à la sortie de Native acheva de me submerger lorsque je découvris la campagne de communication qui avait été mise en place pour préparer la sortie de ce quatrième album. Depuis Native, j’avais redouté que OneRepublic ne perde son identité et sa liberté de création pour se transformer, sous l’influence des maisons de disques, des producteurs, des magnats de la communication, des publicitaires - des gens avides d’argent en somme- en un pur produit marketing rentable. Or, c’était ce qui semblait arriver, à ma grande tristesse et aucun des membres ne semblait s’en inquiéter. C’est ainsi qu’en septembre 2016, OneRepublic clôtura une conférence de presse pour le compte de la marque Apple à l’auditorium Gill Graham de San Francisco ; les membres du groupe eurent même le privilège d’être annoncés par Tim Cook en personne, le directeur général de la marque.
Cette façon de communiquer sur leur musique se retrouve chez beaucoup d’artistes, ce qui ne la rend pas moins détestable à mon sens. J'ai en horreur ce mélange insultant de l’art et du marketing. De grâce, si vous êtes un artiste et que vous devenez connus un jour, profitez de votre notoriété mais ne la jetez pas dans la gueule des financiers ou c’est votre art que vous perdrez. L’art, ce n’est pas juste un vague concept qui nécessite une scène avec des tas de projecteurs et un public. C’est une éthique et une réflexion, une intégrité, une émotion. (N’est-ce pas Ryan?)
Il y aurait matière à débattre pendant des heures sur ce concept compliqué. N’étant ni artiste moi-même ni philosophe, je vous laisse le soin de creuser la question de votre côté.
Dans le même ordre d’idées, je déteste les placements de produits dans les clips. (OneRepublic en fait depuis longtemps, mais il semble que la palette de généreux sponsors se soit élargie ces dernières temps…). Heureusement que le groupe fait dans la philanthropie avec certaines associations, sinon je serais vraiment à court d’arguments pour justifier tout ça.


À la suite de mes premières écoutes plutôt désastreuses pour Oh My My, je cherchai des échos négatifs de fans, qui comme moi, avaient aimé OneRepublic pour leurs débuts et non pour ce qu’ils étaient en train de devenir mais n’en trouvai pas. Beaucoup de gens avaient connu le groupe avec leur troisième album ; les critiques élogieuses pleuvaient et Tedder se réjouissait. Entre temps, le public avait pu découvrir quel compositeur de génie il était, notamment par la presse qui finit par se pencher sur son cas et révéler qu’il était l’auteur des plus grands hits de ces dernières années. Il y eut des photos de lui dans les magazines, des articles plus complets furent réécrits à son sujet. Ryan Tedder devint célèbre pour son talent et non plus seulement en tant que chanteur du groupe. En ce sens, je craignais que cette nouvelle notoriété assez violente pour quelqu’un qui avait jusqu’ici su être connu sans être célèbre ne déstabilise totalement le groupe.
Maintenant, je suis dans l’expectative… car nous sommes en septembre et Oh My My est prévu pour le 7 octobre 2016.


Même si c’est idiot, je garde toujours un espoir de voir OneRepublic renaître de ses cendres, accepter de renoncer à la facilité commerciale pour reprendre son chemin d’autrefois, quand les chefs d’œuvre comme ‘Missing Person 1&2’ ou ‘Passenger’ étaient encore là.
Mais j’ai bien peur de découvrir qu’en fait, c’est tout le contraire.

Proximah
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le 6 sept. 2016

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