No Other
7.8
No Other

Album de Gene Clark (1974)

Sur la photo qui le représente au dos de l'album, Gene Clark fait mine de poser son pied sur le muret d'un balcon (probablement dans le nord de la Californie), vêtu d'une tunique blanche ouverte sur la poitrine mais nouée au niveau de la taille et d'un pantalon incroyable qui ferait passer un fut' pattes d'eph' pour un slim. Il a le regard franc, très clair, le cheveu long et propre, tombant en cascade avec tous ses confrères sur des épaules larges. Gene Clark a trente ans, il est beau. Après des mois passés à regarder l'océan pacifique dans les yeux, il vient de composer et d'enregistrer des chansons qui (il le sait, il en est sûr, comment pourrait-il en être autrement?) lui assureront la gloire éternelle et la reconnaissance du ventre. Point du tout, il l'ignore encore mais il attend sa Bérézina perso et vient de flinguer le reste de sa carrière et peut-être bien sa vie privée avec ("Il y en a un peu plus. Je vous le mets quand même?-Oui, oui.").

No Other, enregistré en 1974, est l'un des plus grands albums des années 70 et l'un de leurs plus gros échecs commerciaux, l'un de leurs disques les plus brillants, subtils et les plus méconnus (au moins jusqu'aux années 90). No Other, c'est aussi un disque déjà doucement suranné, daté en 74 et pourtant en avance sur son temps (grâce à ce qu'on a appelé sa "sur"production).

Gene Clark est un ancien de cette bande de drôles d'oiseaux qu'on appelle the Byrds dont les changements de trajectoires musicales, les explosions en plein vol, les renouvellements offrent un beau panorama des variations de la musique populaire américaine tout au long des années 60 et 70. Quelques réunions ou retours avortés mis à part, il les a quittés en 1966. Il faut dire qu'il n'était pas un "byrd" comme les autres: Gene Clark, l'oiseau qui ne volait pas. Un jour qu'une crise de panique l'empêche d'embarquer, un de ses collègues, Roger Mac Guinn lui lance: "You can't be a byrd if you can't fly!".

Rendu à lui-même, Gene Clark entame une carrière solo d'abord hésitante puis plus affirmée. Une constante? Le manque de succès; Pourtant son talent ne fait aucun doute auprès de son public (restreint), des professionnels. Après cinq albums de Clark, David Geffen (qui a passé les années 70 à piller les artistes du catalogue Columbia pour lancer sa boîte de production "Asylum") l'approche et le fait signer. Gene Clark se met à l'ouvrage: ce sera No Other. En studio, la crème du Country Rock l'accompagne: Butch Trucks des Allman Brothers à la batterie, Joe Lala de Manassas (percussions), son ancien pote des Byrds, Chris Hillman (qui viendra jouer de la mandoline) et j'en passe. Trois mois de studio et à l'arrivée la perle du Country Rock...produit pour 100000 dollars (énorme pour les finances de Geffen à l'époque)...et que personne n'achètera sur le coup (il termine alors 144ème aux Charts).

C'est pourtant une bien belle chose. La voix aérienne de Clark est parfaitement servi par l'ajout d'instruments à cordes, la récurrence des ponts guitaristiques (oh "Some Misunderstanding"). Le piano, la guitare slide, la basse sont indécrottablement country pourtant on y entend déjà la fin des années 70 et certaines réussites des années 80. Malgré tout, on peut oublier deux chansons: "Life's Greatest Fool", la première et "The True One". Pas mauvaises, justes dispensables. On n'oubliera rien d'autre, on ne pourra rien oublier d'autre sitôt l'album entendu, puis épluché. On se souvient de l'alanguissement sublime, plombé mais tout de même plein d'espoir de "Lady Of the North", on gigote sur ce Blues traditionnel (malgré les choeurs) et sauvage de "Silver Raven", l'intro jazzy et le lyrisme de "No Other", la détresse de "Some Misunderstanding"), le crescendo de "Strength Of Strings" qui s'approche parfois du Rock prog', la délicatesse de "From a silver Phial", chanson anti-cocaïne probablement écrite et jouée sous cocaÏne.

Gene Clarke est mort "dans la gêne" (comme on disait, avec la pudeur qui convient, au XIXème siècle pour parler de ces grands personnages décédés à peu près ruinés) une quinzaine d'années plus tard. Une fin assez triste, solitaire, marquée par une maladie longue durée arrosée d'alcool. Il ne déserte ni studios ni scènes, enfin pas tout à fait, mais quand même parce que ce sera bien espacé et chaotique à présent. Une injustice grand format comme la musique à l'heure industrielle en réserve quelquefois aux gens de talent. Mais le temps a passé, aujourd'hui c'est moins grave. Non, ça l'est moins parce que quand on vous demandera ce que c'est que ce CD pastel, la jaquette ornée d'un étrange patchwork "Belle époque" là, sur votre bureau, ou à qui appartient cette voix un peu triste, parfois affectée, traînante mais toujours très pure malgré les effluves de drogues, d'alcools qu'on perçoit de loin en loin, vous répondrez: ""C'est Gene Clark, un sacré mec. Et l'album, c'est "No Other", tu devrais écouter."
RobinV
9
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le 21 avr. 2014

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RobinV

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