Il faut être un peu masochiste pour se plonger dans la rédaction d’une critique d’un album qu’on répugne. En effet, il y a une curiosité presque malsaine à devoir s’imprégner suffisamment de la médiocrité d’une œuvre pour pouvoir la descendre avec la justesse qu’elle mérite. Céder à la facilité du sensationnalisme après une simple écoute ne figure pas dans mes principes, c’est pourquoi je m’impose toujours au moins 3 écoutes intégrales d’un album avant de formuler une critique écrite à son encontre, quand bien même devrais-je me répéter en boucle tout du long « Bordel, que c’est mauvais, c’est mauvais, c’est mauvais… ».
Le temps semble se dilater durant ces instants de pénibilité auditive, les gestes nerveux et les soupirs s’accumulent, l’exaspération va crescendo. Le doute s’installe, lui aussi : Est-ce bien raisonnable de s’infliger pareille flagellation des tympans dans le seul but d’en formuler une appréciation écrite assassine ? N’est-ce pas faire preuve d’une cruauté futile et d’une méchanceté gratuite que d’user de son temps, de sa sueur et de son encre (électronique) pour un îlot de médiocrité sonore quand il existe des continents entiers d’exquis délices auditifs, là, à portée d’oreille, grâce à la révolution du streaming ?
Hélas, l’exercice de la critique ne saurait se résumer à un flot ininterrompu de fellations passionnées et de caresses sensuelles, et se doit ainsi de balayer l’ensemble du spectre musical, y compris ses plus sombres extrémités. C’est là que No Tourists, le dernier album de The Prodigy, entre en jeu.
Venus en touriste
Que dire qui n’ait pas déjà été écrit et dit sur The Prodigy ? Pionniers du mouvement « big beat » au-devant de la scène musicale britannique des années 90, ils participèrent à la popularisation de la dance music et de la culture rave en général à l’aide d’albums considérés aujourd’hui comme des classiques du genre : The Fat of the Land, Music for the Jilted Generation.
Grand fan de Invaders Must Die, je faisais partie des quelques voix qui s’étaient élevées pour défendre leur dernier album The Day is my Enemy en 2015. Sans jamais vraiment se renouveler, The Prodigy avait toutefois conservé cette capacité à créer des morceaux certes prévisibles, mais toujours emplis de la fureur et l’énergie qui avaient fait leur succès, et capables de nous tenir en haleine le temps d’un album ou d’un live endiablé. Si je ne remets pas en cause la fureur et l’énergie déployés par le trio britannique sur No Tourists, je ne pourrai cette fois élever ma voix pour les défendre. Pour la simple et bonne raison que cet album est mauvais.
Ça commençait déjà très mal avec l’horripilant Need Some1, dont l’orthographe SMS simpliste se reflète dans le beat introductif du morceau. C’est bien simple, après 30 secondes d’écoute, j’ai dû faire une pause pour prendre une aspirine, tant j’avais l’impression d’écouter une mauvaise compilation de dj gabber adolescents des années 90. Et le reste n’est guère plus réjouissant. Un enchaînement de morceaux sans fond et sans âme, bourrins pour être bourrins, sans réel fil directeur et qui ne comporte absolument aucun moment marquant. Un pot pourri de toutes les influences et sonorités dont le groupe a déjà usé et abusé sur leurs précédents albums, la fibre nostalgique en moins. Un sentiment de révolte qui sonne aussi creux qu’un journaliste BFM TV, et aussi faux qu’un sac Gucci aux puces de Saint-Ouen. Une indigestion de drops tous plus caricaturaux et prévisibles les uns que les autres.
Ajoutez à cela des guests à valeur ajoutée quasi nulle (et Dieu m’est témoin que Ho99o9 est pourtant un de mes groupes actuels préférés), et vous comprendrez pourquoi cet album n’occupera pas une place importante dans la discographie de The Prodigy. On frôle le foutage de gueule sur Boom Boom Tap, et seules les deux dernières pistes, Resonate et Give me a signal, parviennent un tant soit peu à sauver les apparences. Et il faudra tout de même passer outre la ressemblance troublante de Resonate avec leur précédent Invaders Must Die.
Avec cet album, The Prodigy devient une caricature de The Prodigy. Tant pis si je passe pour un vieux con réac en affirmant ce qui va suivre, mais malgré tout le respect que j’ai pour un groupe à la longévité exceptionnelle pour le genre, je pourrais résumer cet album en quatre mots : BOOM BOOM BLIP BLIP. Et pas du bon BOOM BOOM BLIP BLIP, qui plus est.
- En quatre mots : BOOM BOOM BLIP BLIP
- Coups de cœur : RAS
- Coups de mou : A peu près tout
- Coups de pute : Boom Boom Tap, Need Some1
- Note finale : 3