Tout le monde aime Kim Deal ! Enfin, c’est l’impression que j’ai… peut-être parce que, moi, j’aime énormément Kim Deal. Son Gigantic, qui a rendu Black Francis fou de jalousie quand il est devenu le premier « hit » des Pixies, n’est peut-être pas le MEILLEUR morceau du groupe, mais il est sans conteste le plus HUMAIN, le plus EMOUVANT. Finalement, la galère des licenciements successifs des bassistes des Pixies est la reconnaissance ultime que Kim Deal était bel et bien irremplaçable.

Après, il y a le cas des Breeders, un groupe que nous adorons tous surestimer, un joli foutoir qui n’a jamais débouché sur grand chose de conséquent, hormis bien entendu ce fameux Cannonball, qui fait partie des 10 meilleures chansons de l’histoire du Rock. Mais le dernier passage des sœurs Deal sur scène à Paris, en juillet dernier, assez médiocre en dépit de la réception enthousiaste assurée par une salle grisonnante et nostalgique des années 90, a bien prouvé que le futur de Kim ne passait pas par les Breeders.

D’où notre satisfaction de voir enfin sortir un album « solo » de Kim. Et notre plus grande satisfaction encore de l’entendre, et de réaliser que, enfin, oui enfin !, nous tenions un BEAU disque entre nos mains, un disque qui ne ressemblait ni aux Pixies, ni aux Breeders, un disque qui jouait la plus belle des cartes, celle de l’humanité et de l’émotion, justement.

Les premières notes du morceau-titre, Nobody Loves You More, ouvrent l’album avec une sincérité totale : la guitare est sobre, la voix – enfantine, comme souvent – a un effet de (fausse) naïveté merveilleuse. Et il y a d’abord ces cordes, puis ces cuivres, qui marquent une rupture assez radicale avec le « rock à guitares » auquel on pouvait s’attendre. Coast pousse le curseur encore plus loin encore par rapport à nos idées préconçues, dans une ambiance presque calypso, et avec une mélodie rêveuse qui évoque – on ne va pas parler de plagiat, pas avec une personne aimée comme Kim – le Blondie de la fin des années 80. Crystal Breath est la première chanson qui joue la carte de l’excitation sur un beat martial, avec des paroles scandées, des touches de synthés, une guitare électrique qui déchire : elle confère d’un coup à l’album une contemporanéité qui ne semblait pas être sa préoccupation jusque là.

Are You Mine, avec sa pedal steel larmoyante et son doublage aux violons, est une ballade que l’on qualifierait à tort de… larmoyante, justement, mais qui est ici terriblement touchante, voire désarmante : c’est une chanson écrite par Kim sur ma mère souffrant d’Alzheimer, mais du point de vue celle-ci… alors qu’elle ne reconnaissait plus sa fille. Pas loin de la perfection, dans le genre. Disobedience est LA chanson qui pourra rasséréner, un temps, les amoureux des Pixies : on retrouve la vitalité d’antan, avec des montées en intensité alternant élégamment avec des passages quasi rêveurs : un très beau titre, chargé clairement de faire un pont entre le passé de Kim et son présent, avec une basse nerveuse, des percussions qui martèlent un rythme plutôt lourd. Fausse alerte néanmoins (ou fausse joie), car Wish I Was ralentit à nouveau le tempo pour livrer une ballade introspective, où Deal expose ses doutes et ses rêves inassouvis, face à ce qu’on comprend être une personne désirable, mais bien plus jeune qu’elle : seule chanson du disque à dépasser les quatre minutes, Wish I Was monte toutefois en intensité et en beauté, pour notre plus grand plaisir.

Big Ben Beat lâche les guitares sauvages, et trouve un sentiment d’urgence qui n’était pas présent jusqu’à présent dans Nobody Loves You More. Le chant est impérieux, et la vulnérabilité, mise en avant jusque là, est loin. Bats In The Afternoon Sky n’est guère qu’une vignette sonore dépassant à peine la minute et demie, une sorte de pause planante avant la « grande chanson classique » qu’est Summerland : avec ses cordes et sa splendeur de « comédie musicale » classique, elle pourrait aussi faire partie du répertoire de Lana Del Rey. C’est un joli paradoxe d’ailleurs, si l’on considère les limites vocales de Kim Deal, qu’elle réussisse aussi bien dans ce genre d’exercice. Le plus beau titre du disque.

Come Running déboule alors, comme l’antithèse absolue de Summerland : encore une ballade, certes, mais « velvetienne » cette fois, avec chant faux en équilibre précaire, guitare bruyante et magie indiscutable : du côté de Galaxie 500, voilà qui pourrait être une seconde carrière pour Kim. A Good Time Pushed est une belle conclusion, plutôt positive : si la mélodie a des touches douces-amères, la chanson s’avère lumineuse, comme un adieu souriant qui est en fait une promesse de nouveaux départs. « Now is the time for me to get what I want / And when I figure it out, consider it bought » (Il est maintenant temps pour moi d’obtenir ce que je veux / Et quand je l’aurai compris, tu pourras considérer que c’est chose faite… » C’est tout le malheur que l’on souhaitera à Kim !

En résumé, l’une des forces de ce Nobody Loves You More réside dans sa capacité à alterner entre des moments de vulnérabilité pour le moins désarmants, et des passages plus fantaisistes, voire énergiques. Un disque que l’on pourrait qualifier de « magistral » si le concept de « maîtrise » n’était pas aussi éloigné des préoccupations de Kim Deal. Disons plutôt un disque qui nous touche par son authenticité. Et sa capacité à faire surgir la beauté de manière inattendue.

[Critique écrite en 2024]




EricDebarnot
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Créée

le 22 déc. 2024

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Eric BBYoda

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