Nostril
7.3
Nostril

Album de Igorrr (2010)

Quand on écoute Nostril, le premier mot qui nous vient à l'esprit, c'est « mélange », ou « mixture », « cocktail », « pot-pourri », etc. Bref tant de mots qui veulent en apparence dire plus ou moins la même chose, mais avec des degrés d’appréciation différents. Mais finalement, lequel correspond le mieux à Igorrr ? L'album est-il trop brouillon, pas assez organisé ? Ou l'inverse ?

Il est clair qu'Igorrr mélange beaucoup de choses. Un peu de metal, une pincée de musique baroque, un soupçon de jungle, et surtout un bon gros kilo de breakcore. Et la liste continue. Bien sûr, je n'ai pas choisi ses termes par hasard, Adobati a utilisé la même métaphore dans sa critique : quand on écoute Igorrr, on a l'impression de regarder quelqu'un cuisiner, et quelle cuisine ! Igorrr ne prépare pas du caviar ou autres joyeusetés, non. Nostril c'est plutôt du troll à la bave de limace, du crapaud au jus de citrouille, bref vous m’avez compris : Igorrr s’inspire du folklore, de la mythologie, de la sorcellerie… Lui-même est un sorcier, et sa table de mixage constitue son chaudron ! On peut reprocher à Igorrr de mettre ce qu’il veut dans son chaudron, parce que c’est vrai que la mythologie, le fantastique, c’est un peu facile, il suffit d’aligner quelques mots et ça sonne bien. Plus haut, j’ai dit « troll à la bave de limace » et « crapaud au jus de citrouille », mais j’aurais tout aussi bien pu dire « crapaud à la bave de limace » et « troll au jus de citrouille ».

La vraie question que je me pose en écoutant cet album, et je ne pense pas être le seul, c’est « D’accord, cet album est un mélange, mais est-ce qu’Igorrr se contente de faire un pot-pourri ou est-ce que l’album est organisé ? » C’est clair que quand on regarde les titres (« Moldy Eye » soit « Œil moisi » ; « Melting Nails » soit « Ongles qui fondent », etc.), on ne peut s’empêcher de penser qu’Igorrr a choisi des noms un peu au hasard, qui collent bien à l’univers, qui contribuent au côté folklorique, mythique de l’album. Mais quand on écoute bien l’album, on se rend compte qu’il y a une certaine cohérence entre les titres et la musique. On pourrait croire qu’Igorrr a d’abord composé ses morceaux, puis leur a ensuite donné des noms farfelus. J’aurais plutôt tendance à penser que c’est l’inverse, qu’Igorrr, aussi fou qu’on le connaît, a pris des noms un peu au hasard, et a essayé d’associer des mélodies à ces noms. « Hum, Unpleasant Sonata, cool je vais mettre un peu de clavecin ponctué de gros beats de breakcore ». J’exagère un peu, mais tout ça pour dire qu’il y a une certaine cohérence dans l’album, que tout n’est pas un mélange désorganisé. Plus je l’écoute plus je me rends compte qu’il est tout sauf brouillon, que, tiens, les chants d’opéra cauchemardesques qui n’ont rien à voir avec le breakcore, c’est peut-être parce que le titre c’est « Pavor Nocturnus » (en français « Terreur nocturne », le nom d’une maladie qui provoque des troubles du sommeil), et que le but d’Igorrr est justement de nous effrayer, de nous faire cauchemarder. Et puis pourquoi il vient nous foutre de l’orgue au milieu de jungle cet hurluberlu ? Bah le titre c’est « Excessive Funeral », et puis sans trop pouvoir l’expliquer, je trouve que rien ne correspond plus à des funérailles excessives que des orgues à la sauce breakcore. Je pourrais m’étendre sur le sujet, mais j’avoue que je n’ai pas (encore ?) trouvé de correspondances à chaque fois. On comprend assez facilement l’utilisation du clavecin par le titre « Unpleasant Sonata », mais j’avoue que rien ne me fait penser à un teckel cruciforme sur « Cruciform Dachshund », ahah ! Je parle peut-être un peu trop des titres, qui sont finalement bien moins importants que la musique en elle-même, mais je trouve ça tellement fascinant de découvrir que, par exemple, « Fryzuka Konika » veut dire « Coiffure de cavalier » en polonais. J'ai l'impression d'être un détective cherchant à résoudre des énigmes !

Bref pour moi c’est ça qui fait le génie d’Igorrr. On peut ne pas accrocher au style, trouver ça inaudible, peu accessible (même si personnellement je trouve l’album très facile d’accès !), mais Igorrr a le talent indéniable de nous plonger dans son univers baroque si particulier. Dès le premier morceau, on a l’impression d’être au milieu des orques et des gobelins. Et on cherche ses repères, on se pose des questions : « Pourquoi ceci ? Pourquoi cela ? » (bon en réalité en écoutant l’album c’est plutôt ça : http://bit.ly/SGWW5T héhé). On cherche à comprendre ce qu’Igorrr veut nous dire, où il veut en venir. Il est inutile d’essayer de recoller les morceaux, ce serait comme essayer de retirer la pomme de terre d'une soupe aux légumes déjà préparée, ce qui compte ici, c’est de chercher comment il a fait cet étrange breuvage, qui est certes dégueulasse, mais tellement appétissant également !

Enfin, en ouverture, je conseille à ceux qui ont apprécié l’album (si si, vous vous cachez mais je sais qu’il y en a !) ou aux curieux (ah il y en a déjà plus !) d’écouter également Moisissure, son album précédent un peu moins brutal et peut-être plus harmonieux (Oui, dit comme ça on dirait qu’on perd tout l’intérêt d’Igorrr, mais rassurez-vous ça reste super !), ou même Hallelujah, son dernier album en date !
Ebow
8
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le 10 févr. 2013

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Ebow

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