Notre-Dame de Paris (OST)
5.5
Notre-Dame de Paris (OST)

Bande-originale de Riccardo Cocciante (1998)

Le Fantasme et le Désir à la source de toute bonne tragédie.

Après l'avoir vue, j'avais oublié de l'enregistrer sur SensCritique ou d'écrire mon ressenti. Ce qui est sûr, c'est que cette comédie musicale m'a fait forte impression, pas tout le temps, mais sur de nombreux morceaux, clairement.


Mais en visitant le musée de l'Oeuvre Notre-Dame de Strasbourg, j'ai réalisé de manière plus concrète des pensées et émotions que ma culture et le visionage de la comédie m'ont transmises.


On peut expliquer le génie de Notre-Dame de Paris par sa capacité à exprimer le lien entre religion, tabou, et désir, sans créer une dichotomie cloisonnante comme on aurait pu le faire. C'est ce qui a plus ou moins été fait dans le Disney : la religion crée des tabous qui crée des esprits pervers (Frolo), et face à ça on a des esprits purs (Esmeralda, Casimodo). En fait, on va beaucoup plus loin que ça tout en ne concluant jamais moralement le discours. Les personnages sont tous tragiques, humbles, médiocres face à leur propre émotions et face au cours des évènements. C'est tous des pauvres fous qui essayent de s'en sortir, et ni les paroles ni la mise en scène ne défendent ou ne condamnent l'un ou l'autre personnage. Et ducoup c'est d'une finesse inouïe.


Plutôt que de s'attardie sur l'évidente "folie" et "médiocrité", et donc à la finesse d'écriture de chaque personnage, partons un peu sur le terrain du désir, qui constitue la source artistique et esthétique de toute la comédie. Ce qui est beau c'est que ce désir se dessine en deux plans : individualité et humanité/communauté.


Pour ce dernier, je pense qu'on ne peut passer à côté de Le temps des cathédrales, Florence ou La cour des miracles. Sublimes, elles font paradoxalement ressentir toute la vanité de l'aspiration humaine à l'éternité. Plus je réécoute ces chansons particulières, plus je les vois comme une gigantesque Danse Macabre (qui reste une oeuvre d'art et donc fatalement vaine). On cherche donc à sublimer ce fantasme fragile et creux qu'ont eu les médiévaux et qu'on eu toutes les civilisations : la croyance en un mot. Je veux dire, dans ces trois chansons on tire sur la corde entre déstabilisation (par la tristesse, le désespoir, ou l'insouciance qu'elles inspirent) et magnification (mine de rien, ce sont aussi des chansons d'espoir, de renaissance, de transcendance). Donc en gros, on présente le fantasme vain de l'Homme, mais on en extirpe toute la douloureuse beauté : c'est laid au fond, c'est désespérant au final, et pourtant qu'est ce que ça a valu le coup putain. Les Cloches entre aussi en résonnance avec ce que je vous dis.


Quand tu as la chance d'admirer deux statues jumelles, l'une Catholique et l'autre Juive, qui traduisent le délire de l'époque de vouloir "convaincre" la communauté israëlite, tu ne peux concevoir le message émotionnel fort de Notre-Dame de Paris.


Ca c'était pour la partie peut-être un peu moins évidente. Parce que je pense que personne en revanche ne sera passé à côté du traitement individuel, presque psychologique, du fantasme dans ce chef-d'oeuvre. Je serais donc très rapide : Mention spéciale à La Monture, Être un prêtre et aimer une femme, le Val d'amour ou encore la fameuse Belle, même s'il y'en a bien d'autres. Ce qui est beau ici, c'est (comme mentionné) la sacralisation et l'esthétisation de la luxure, alors qu'on est un contexte ultra religieux et moralisateur. On retombe sur mon idée de l'humiliation généralisée dans une Danse Macabre. Au final, tous les personnages sont juste fous de désir sexuel, et ceux qui échappent à cette folie perverse sont justement ceux qui vivent déjà librement leurs désirs (Clopin pour le désir charnel, et Gringoire pour le désir spirituel).


Pour conclure de manière un peu plus concrète, je reconnaît que musicalement certaines musiques me paraissent un peu lourdes et donc assez plates, mais les paroles restent toujours très justes. C'est dommage mais c'est très personnel : quand on isole les morceaux je suis assez mitigé (genre Déchiré et Il est beau comme le soleil, bon...). Seulement, regarder l'entier est un pur plaisir. Aucun personnage n'obtient ce qu'il veut, aucune solution n'est présentée : on est sur du théâtre raffiné, mature, et qui s'assume (une pièce de théâtre finit rarement "bien" (même les comédies), sans en être un gros gros consommateur, mais celles auxquelles j'ai personnellement participé étaient bien sombres). Les personnages sont médiocres, plein d'espoir et de défauts qui rendent ces espoirs vains, bref, les personnages sont humains. Le jeu d'acteur accompagne parfaitement ces émotions plus qu'organique, à l'execption peut-être Patrick Fiori (mais c'est sûrement parce qu'il ne réveille pas autant mon désir que Gringoire et Frollo et qu'il n'est pas aussi sublime que Casimodo). Plus sérieusement, Phoebus est un peu plus passif et donc bien moins émouvant que les autres. Encore une fois les paroles sonnent juste de Kyoto à Buenos Aires, mais avec une touche particulière pour nous occidentaux du vieux monde qui avons ici l'occasion de regarder en face la laideur et la tristesse ainsi sublimées de notre histoire (c'est peut-être un peu plus intéressant de cette manière qu'un film sur le Lourd Moyen Age hein ;) ). Et on dirait presque pas que je suis un sciences humaines parce que ma critique à aucune cohérence sur la forme. Mais voilà, je crois que j'ai fais le tour ! Et au moins j'aurais marqué le coup sur ce beau visionnage ^^.

Leodegar
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le 30 oct. 2022

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