Octopath Traveler II
7.8
Octopath Traveler II

Jeu de Square Enix, Yasunori Nishiki, Acquire et Nintendo (2023Nintendo Switch)

Octopath 2, cas d'école du problème de la posture "scénario"

J'ai fini Octopath traveler II récemment et j'aimerais profiter de cette critique pour aborder un sujet central de la critique jeu vidéo en général : la narration et son usage. J'utiliserais donc en support certaines vidéos francophones sur le jeu qui reprennent ce poncif.

Octopath traveler II est effectivement un peu le cas d'école qui permet de comprendre toute la relativité de la phrase "c'est l'histoire qui est le plus important dans un jeu", parce que, pour ceux qui auraient pas suivi, le discours général de Octopath est "c'est un jeu excellent pour son gameplay, son level design, sa musique, ses graphismes (que des éléments interactifs et donc vidéoludiques, et non passer un dialogue c'est pas interactif), bon parcontre la narration mince alors elle est toujours pas dingue parce que pas interconnectée !".

Ce paradoxe montre bien que Octopath n'est pas un jeu vidéo dont la valeur tombe sous le sens. Un super gameplay, une direction artistique au poil tant dans les décors que dans la musique, mais une narration peu convaincante? Ce paradoxe révèle aussi, et je vais essayer de l'expliquer ici, qu'estimer que la narration est centrale dans un enjeu est avant tout une posture subjective dans laquelle on se met plus ou moins inconsciemment, et qu'il existe, là-bas dans le vaste monde, d'autres postures/manières pour apprécier un jeu vidéo et le critiquer :D !

Tout d'abord, je comprends totalement la posture narrative, en soi. On a le droit de vouloir profiter d'une belle histoire, avec des enjeux forts, des personnages développés, des relations touchantes, etc etc, parce que tout le monde, je dis bien tout le monde, aime qu'on lui raconte des histoires. C'est humain et en soi c'est la preuve que l'oeuvre à une certaine valeur. Mais une histoire, c'est une succession d'évènement qu'il faut tâcher de rendre passionnant, et en ce sens l'action de raconter se place directement dans la sphère du divertissement (et ce n'est pas un gros mot). Ce n'est qu'après, par des procédés artistiques divers, que cette histoire passionnante pour également toucher l'âme. La narration a donc son rôle, car c'est un moyen de rendre intelligible à l'esprit le monde du cœur, mais ne fait pas tout dans une œuvre, c'est pourquoi la considérer comme centrale est une posture personnelle qu'on peut nuancer.

D'ailleurs je suis pas d'accord sur le fait que la narration prise toute seule, de Octopath, soit forcément mauvaise, du 1 comme du 2. Se concentrer sur huit histoire cloisonnées, ce n'est pas moins bien, c'est différent, il y a 36 000 manières d'écrire une histoire et cette obsession du scénario initiatique m'effraye un peu vu à quelle point elle se sent absolue et plus légitime que les autres. C'est franchement dommage d'un point de vue de la liberté artistique. Après, bien sûr, une fois qu'on sait que c'est une manière de faire différente et qu'on respecte, on aime ou on aime pas, et Octopath, dans le fond, propose des histoires assez naïves et attendues, donc on est ni sur la narration la plus grand public d'une part, ni sur la narration la plus fine et sensible d'autre part. Donc forcément, même moi si je me place dans la posture de l'histoire je vais trouver Octopath II chiant. Ses histoires abordent des thèmes plus sérieux mais avec des dialogues plutôt mauvais, donc on se retrouve avec une tentative maladroite de rendre l'univers plus profond (ce qui marche un peu, mais plus grâce au level design et à l'implant de quelques dialogues dans le scénario, donc la narration joue très peu sur la profondeur relative que j'ai pourtant ressentie en fin de game).

La valeur d'Octopath se révèle une fois qu'on adopte une posture de sensibilité au vidéoludique. Je veux dire que Octopath I et II ne seront jamais des bons jeux si on voit l'histoire comme plus importante que le gameplay. Parce que forcément si on prend l'histoire en premier, séparé du reste, on a le résultat que je viens de décrire et qui est moyen voire très mauvais pour les grands amateurs de narration : "le gameplay est bien mais l'histoire beaucoup moins!". Selon moi, le jeu vidéo est avant tout une expérience vidéo-ludique qui transmet éventuellement des informations (ce qui est une posture aussi hein, mais qui me semble plus fidèle au média concerné), et c'est cette vision du jeu qui me permet d'expliquer mon ressenti esthétique face à Octopath traveler II et tous les autres titres auquel j'ai eu l'honneur et le plaisir de jouer.

Effectivement, le gameplay d'Octopath est vraiment une réussite : les combats sont toujours aussi satisfaisants, pas besoin de m'arrêter dessus, et pourtant c'est quand même l'élément primordial du jeu, le combat ! D'autres que moi cependant ont déjà reconnu les qualités du gameplay d'Octopath, je vais donc éviter de m'étaler vu que j'ai déjà pris bcp de lignes à expliquer ma posture vis à vis du jeu. Pour moi le combat est très fort car il met en lumière les personnages pour ce qu'ils sont vraiment : des aventuriers avec une histoire certes mais dont le but est celui de n'importe quel joueur de JDR : avancer dans une aventure qui ne vise pas une fin précise mais plutôt des petites péripéties à droite à gauche. Le gameplay en soi te donne directement certaines infos sur les personnages, aussi superficielles puissent elles paraîtres, et te fait les apprécier ! En fait, la cinématique d'un OT n'est que la continuité du combat, la verbalisation de celui-ci. Le combat suffirait amplement à te faire aimer cette petite équipe aux capacités toutes très jouissives et équilibrées, permettant de nombreux combos. L'équipe de JDR de rêve en somme ! Et l'imagination fait le reste, surtout que la 2D a ça de bien qu'elle ne t'impose pas l'apparence de son univers, donc laisse au gameplay seul l'opportunité de vraiment marquer les esprits. Alors pas tout à fait seul, puisqu'il sera accompagné d'une magnifique OST, mais le reste dans OT 2, c'est du gameplay pur ! En effet le deuxième point important c'est l'exploration et le level design : les zones sont attirantes, pleines de secrets, de boss secondaires qui te donnent de bons bonus et que tu peux taper un peu quand tu veux du moment que tu as à peu près le niveau. Donc encore une fois, le fait d'avoir un monde à explorer librement avec ton équipe va t'attacher aux personnages et augmenter l'impact de l'univers sur toi alors que tu découvres ces environnements plutôt beaux il faut l'avouer. Mais encore une fois l'effet émotionnel du paysage 2D tombe pas du ciel, c'est bien parce que tu interagit avec lui qu'il fait effet.

Donc, sur ce cas précis des graphismes et du level design : le gameplay (l'exploration) transmet une information (des environnements beaux, riches et cohérents) que la narration va éventuellement expliquer (dialogues de PNJ), et donc crée un lien émotionnel entre le support de jeu et le joueur.

Octopath II est en somme un bon jeu, puisque son gameplay est très réussit et arrive à attacher le joueur à un univers et à des personnages dont l'histoire n'est pas catastrophique certes mais pas très bouleversante non plus. C'est une expérience de jeu marquante et qui montre bien qu'un je vidéo est capable, par ce qui le définit, c'est à dire le vidéoludique, de transmettre une atmosphère esthétique, une émotion et de soustraire ainsi aux besoins et aux codes des médias non interractifs. Octopath II montre la force de l'interaction (à l'instar d'autres jeux comme les Zelda par exemple) comme vectrice d'émotion, et c'est pour ça que j'invite à vraiment le considérer d'abord pour son gameplay que pour son scénario. Dans un jeu, le scénario peut être éventuellement très bénéfique, mais il est avant tout subsidiaire du gameplay, comme on la vu avec OT 2.


Votre serviteur,


Leodegar, le 25 mai 2023

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