Nunsexmonkrock
7.5
Nunsexmonkrock

Album de Nina Hagen (1982)

Un album impossible, improbable, impensable

NunSexMonRock est un album "à l'ouest" dans tous les sens du terme.

Au début des années 80, Nina Hagen (déjà passée à l'ouest une première fois dans les années 70, à l'intérieur d'une Allemagne fracturée en deux zones) se barre encore plus à l'ouest... Direction : les USA. Ou plutôt : l'ouest des USA. Elle atterrit en effet sur la côte ouest, à L.A. : L.A., où elle fera (dans le désordre) divers trips, un bébé, des rencontres extraterrestres et... cet incroyable album. À l'arrivée : un chef-d'œuvre indémodable et indépassable. Sainte Nina a vu la vierge et ça se sent.

La pochette, déjà, plante le décor : bariolée, saturée, trafiquée, elle laisse d'abord perplexe (un sentiment que l'auditeur qui découvre cet album connaîtra au bas mot encore une bonne centaine de fois durant la quarantaine de minutes que dure ce sidérant NunSexMonRock). Qu'y voit-on ? Une vierge à l'enfant ? Une bohémienne qui mendie ? Les deux à la fois ? Chacun choisira (ou pas).

Et ce titre ? NunSexMonRock ?? Qu'est-ce que ça veut dire, ça ??? Des nonnes qui font du sexe avec des moines, c'est rock'n'roll ???? Au-delà de la provocation qu'il suggère, ce titre est en réalité programmatique de ce qui attend l'auditeur imprudent qui s'apprête à poser pour la première fois ce disque redoutable sur sa platine : chef-d'œuvre au mieux méconnu, au pire sous-estimé (en tout cas révolutionnaire) de l'ère post-punk, NunSexMonRock, tout au long de ses dix titres implacables, va dérouler, méthodiquement, naturellement, impitoyablement, son petit théâtre baroque où l'on sent dès les premières secondes (le terrifiant Antiworld !) que tout va être possible : le poignant et le grotesque, la piété et le blasphème, l'altruisme et le nihilisme, le paradis et l'enfer... What else, avec un album qui s'ouvre sur un morceau qui contient des versets extraits du Livre d'Esaïe et se conclut sur un morceau à la gloire des soucoupes volantes arrivant sur Kyoto et Los Angeles pour libérer... le Saint Esprit ! La boucle est bouclée. Mais entre temps, que d'émotions !

On se lance (c'est bien le terme qui convient) dans l'écoute. Et là... Là... Certes, l'expression est un peu galvaudée, mais ici, elle se justifie pleinement : on n'avait rien entendu de tel auparavant... ni après d'ailleurs. En effet, plus de 40 ans après, on n'a toujours pas entendu quoi que ce soit qui s'en approcherait de près ou de loin... Car c'est un fait : NunSexMonRock, album matriciel, est toujours sans équivalent, sans descendance, rien, nada. C'est donc désormais officiel : cet album restera à jamais un objet venu d'un autre monde.

C'est donc le démoniaque Antiworld qui ouvre l'album... Au moins, les choses sont claires d'entrée de jeu ! Voilà un album qui n'y va pas par quatre chemins. On aurait pu démarrer avec les moins effrayants Born in Xixax ou Cosma Shiva, mais non. C'est à Antiworld que revient l'honneur. Le récit d'un cas de possession, sur fond de rythmique tribale et de mélopée orientalisante. Le bien contre le mal (mais à la fin, c'est le bien qui gagne !). Le ton est donné : on est face à un album qui fait peur et qui fascine en même temps. La suite ne démentira pas ce sentiment.

Smack Jack (sur les pièges de la drogue, sujet que Nina Hagen connaît bien, alors) à lui aussi une rythmique imparable, une couleur sonore qui lui fait passer les époques sans problèmes (c'est d'ailleurs une constante de NunSexMonRock, qui saute aux oreilles immédiatement : voilà un album sorti en 1982 mais qui aurait tout aussi bien pu sortir aujourd'hui... ou qu'on aurait tout aussi bien pu trouver dans une grotte récemment mise à jour à la faveur de fouilles archéologiques !).

Les choses se calment un peu (en apparence) avec Taitschi-Tarot, petite comptine entêtante de deux minutes, sortie d'on ne sait où, placée sous le signe de la spiritualité (encore).

Avec Dread Love, ça repart de plus belle : Nina la Walkyrie déploie son savoir faire dans un morceau particulièrement pêchu, rock si l'on veut (le terme ne signifie plus grand chose, sur un album pareil), énergique assurément. Côté paroles, on est encore en pleine célébration de noces entre le spirituel et le sexuel (les nonnes et les moines, n'oublions pas !) : il s'agit de "louer le Seigneur tous les jours", ok, mais aussi de "menstruation", "masturbation", "revolution"... Voilà, débrouillez-vous avec tout ça. Et tel un mantra, à la fin, la répétition ad nauseam de la formule magique qui donne son titre à l'album.

Future is Now est une sorte de slow rétro-futuriste qui dégénère en grand-guignol, dans lequel la foi est à nouveau convoquée... 1981 c'est fini : le futur c'est maintenant.

Born in Xixax et son riff de guitare imparable ouvre joyeusement la face B (car, qu'on se le dise : NunSexMonRock s'écoute exclusivement sur vinyle ! Aucune édition CD ou cassette n'a su rendre justice au travail sonore phénoménal qui a été accompli sur cet album, et que seule une écoute sur vinyle - à très fort volume, il va sans dire - peut restituer à sa juste valeur). L'ambiance est à la guerre froide, avec des accents quasi-prophétiques (l'allusion troublante, dans la chanson, à la fois au dirigeant russe Brejnev et à un "big disaster"... sachant que Brejnev est mort quelques mois après la sortie de l'album).

Iki Maska est sans aucun doute le morceau le plus barré d'un album qui ne l'est pas moins, sorte de grand portenawak organisé autour du fameux thème de "Peter Gunn", à base de "spits" et de "shits", et de vocalises débridées (Nina, telle une Callas sous acide, semble déclamer un "O Sole Mio" en direct sous sa douche).

Retour au calme (là encore, apparent), avec le mystérieux Dr. Art, planant, à la fois inquiétant et réconfortant (comment est-ce possible ?). On peut vraisemblablement voir dans ce titre l'anagramme de "Dr. Rat", alias Ivar Vičs, un graffeur punk mort d'une overdose à 21 ans au début des années 80 à Amsterdam, où il était une sorte de mythe underground vivant. Nina Hagen semble l'avoir connu (voire plus)... Les thèmes évoqués dans cette chanson au format très expérimental (qui parvient à instaurer un climat à la fois pesant et apaisé... tour de force) convergent vers cette interprétation ("revolution in Amsterdam", "Dr. Rat is dead", "LSD"...).

Cosma Shiva arrive à point nommé. C'est un morceau joyeux et (osons le mot) dansant, à la gloire de la fille de Nina Hagen, la sus-nommée Cosma Shiva, née en 1981 (c'est elle qui pose avec maman sur la pochette et ce sont ses gazouillis qu'on entend dans la chanson). Pas grand chose à dire d'autre sur ce morceau particulièrement efficace (porte d'entrée idéale dans cet album intimidant).

Last but not least : UFO clôt l'album de manière grandiose. On est à la limite de l'ambient, l'atmosphère est planante, apaisée (comme dans Dr. Art, l'aspect inquiétant en moins). Les paroles semblent faire la synthèse de tout ce qui vient de défiler dans nos oreilles (encore sous le choc) durant une quarantaine de minutes : le spirituel, le surnaturel, le divin, le païen... tout se mélange ici en une sorte de fusion "monde global" qui semble anticiper les réseaux sociaux à venir. La polyphonie (qui domine tout l'album) est ici à son apogée : on croirait que des dizaines de personnes se succèdent au micro, alors que c'est Nina toute seule qui fait le job (il faut dire qu'ils sont nombreux dans sa tête, sans doute... ça peut aider).

On ne sort pas indemne de NunSexMonRock, album épique s'il en est. NunSexMonRock, c'est le saut dans l'inconnu, un grand huit émotionnel, une décharge de 6.000 volts... Une claque et un baiser en même temps. La tiédeur n'a aucunement sa place ici : on adore ou on déteste. On prend ou on laisse, mais si on prend, on prend tout. Et c'est beaucoup, énorme, débordant de toute part. Et d'ailleurs, les fans de cet album ne sont pas de simple fans. Ils ne sont même pas de simples "fans hard-core". Non. Ils sont des militants de NunSexMonRock.

Il est grand temps de réhabiliter ce grand chef-d'œuvre trop souvent incompris, méprisé, moqué, snobé, fui, détesté, ignoré... Il y a peu d'albums de cette époque qui tiennent encore la route aujourd'hui : NunSexMonRock est ce ceux-là, c'est une évidence. Il n'est pas trop tard pour l'admettre.

Amarcord
9
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Créée

le 30 juin 2024

Critique lue 21 fois

Amarcord

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