Dans la filmographie, pourtant bien riche en œuvres majeures, du grand cinéaste suédois, "Persona" tient une place à part : il est le film qui a permis à tout un pan du cinéma d'entrer dans une modernité décisive.
Ce n'est sans doute pas un hasard si les plus grands cinéastes contemporains se réclament souvent d'Ingmar Bergman, jusqu'à David Lynch, dont l'inépuisable "Mulholland Drive", s'il doit évidemment beaucoup au cinéma d'Alfred Hitchcock (comme on a pu le rappeler à maintes reprises), doit tout autant à "Persona" : le thème du double, ou de la femme-double, plus exactement est central dans les deux œuvres. Dans "Persona", l'actrice et sa nurse finiront par fusionner littéralement (au sens propre, à l'écran). Dans "Mulholland Drive", on assiste au même processus, même si c'est présenté avec la distance de l'artifice (la fameuse perruque blonde que porte Rita).
On a beaucoup dit que Bergman était le cinéaste du doute face à Dieu ; comme un second pendant, il a introduit pas mal de psychanalyse dans son cinéma, mais sans jamais s’appesantir, en gardant toujours à l'esprit qu'il s'agissait de cinéma. Et "Persona" en est la preuve la plus éclatante : on voit carrément la pellicule du film s'embraser.
Il ne faut surtout pas se laisser désorienter par le début, à la limite du cinéma expérimental : il met en place ce qui suivra et qui est, au fond, assez accessible, même aux non spécialistes de Bergman, pour peu qu'on accepte de laisser au vestiaire des réflexes bien naturels hérités par le cinéma plus traditionnel. Oui, "Persona" se donne tout entier à son spectateur : il faut rappeler combien l'image est somptueuse, un noir et blanc à tomber par terre, un soin évident apporté à la composition de chaque plan... Devant tant de beauté, il n'y a qu'à regarder et se laisser porter par la petite musique de Bergman.