La hantise d'un jeune docteur en radiologie

L'autre jour j'étais à une soirée où je ne connaissais pas grand monde. Une de ses soirées d'ami d'ami où l'on ne connait pas grand monde, donc, à part l'ami, et l'ami de l'ami, bien entendu. C'était l'anniversaire de l'ami de l'ami en question et il avait loué un bar. Un de ces bars où ils font plein de jolies cocktails avec plein de jolis couleurs, mais comme je n'aime pas trop boire une de ces boissons qui semble tout droit sortie d'un livre de coloriage, et même pas un beau livre de coloriage, un de ces livres de coloriage bon marché où les dessins sont tous les mêmes et où les couleurs sont toutes délavées, comme après une bonne journée d'automne où la pluie jamais ne s'arrête, disons le 19 Novembre, jour où je me trouvais justement dans un bar pour fêter l'anniversaire d'un ami d'un ami.

Je me promène donc avec ma pinte de bière dans ce bar pour l'anniversaire de cet ami d'ami, voguant de conversation en conversation avec l'entrain d'un pirate par jour de mer trop calme, jusqu'à ce que, je ne sais trop comment, je me retrouve à parler avec ce jeune homme, qui est en fait légèrement plus vieux que moi. Un jeune homme qui est docteur. Docteur en radiologie.

Et c'est étrange car ce jeune homme, jeune docteur en radiologie a exactement la tête que l'on imagine avoir un jeune homme, jeune docteur en radiologie. Une tête de jeune qui aurait vieilli bien trop vite, comme s'il avait oublié de s'amuser en chemin, jeune oui, mais avec tous les attributs d'une figure plus veille. Il est là à se tenir devant moi avec ces 26 ans qui en paraissent 42, et il me parle, et je me dis que ce jeune homme, jeune docteur en radiologie, et bien il m'a l'air de tout ce avec quoi je ne vais pas m'entendre, avec son polo vert pomme au col relevé, sa grosse montre brillante et ses manière de bourgmestre du 19eme siècle. Pour tout dire, il m'a l'air d'un sacré con.

Or donc je suis coincé avec ce jeune homme, jeune docteur en radiologie et je lui dis que, depuis aujourd'hui, j'ai mal au cou, même que ce n'ai pas très agréable. Après tout il est radiologue, la santé ça le connait, alors vas-y mon gars, démerde toi avec ça. Alors il me demande ce que j'ai fait aujourd'hui. Je me suis levé tard, que je lui fait, car hier j'ai fini tard, à minuit, que je lui fait, j'ai des horaires un peu bizarre, que je lui fait, et puis j'ai était travailler, que je lui fait, et j'ai fini tard, à minuit que je lui fait, j'ai des horaires un peu bizarre, je te rappelle, que je lui fait, et puis je suis venu ici, que je lui fait, et aussi au travail j'ai écouté toute la journée du Meshuggah, que je lui fais.

Alors il me coupe tout excité, comme un enfant tout fier de montrer comme il rebondit bien, son nouveau ballon, et me dis arrêtes toi là, ne vas pas plus loin mon gars, tu as écouté du Meshuggah, c'est pour ça, on a des cas toutes les semaines, des gens qui ont mal au cou et qui ont écouté Meshuggah. Meshuggah c'est tellement puissant qu'ils remuent la tête, encore et encore, et après ça leur fait des maux de cou, même que dans les formulaires on a mis une case Meshuggah pour les maux de cou, car on en pouvait plus de toujours l'écrire, et qu'on faisait toujours des fautes en l'écrivant.

Et je me dis, qu'après tout, malgré sa tête de jeune vieux et ses attitudes de vieux jeune, ce jeune homme, jeune docteur en radiologie, est peut-être, finalement, après-tout, un bon petit gars. Moi je ne comprends pas, qu'il me dit, j'ai écouté une fois, qu'il me dit, et j'ai arrêté au bout de 30 secondes, qu'il me dit, je n’aime pas tout ce bruit, qu'il me dit encore, Meshuggah c'est ma hantise professionnel, qu'il me dit finalement. Tas de conneries, que je pense. Et moi de répondre que Meshuggah, c'est la musique du seigneur, c'est ce que dieu écoute quand il médite paisiblement sur le sort de cette humanité qui déraille, et c'est aussi ce qu'il écoute quand il nous envoie un de ses terribles cataclysmes en fouettant l'air de sa longue chevelure argentée pendant que sa longue barbe immaculée lui martèle la poitrine. Et que Meshuggah c'est la puissance à l'état brut, et l'apaisement à l'état métaphysique, que se faire malaxer brutalement chaque parcelle du cerveau par un cyclone de guitares, et de basse, et de batterie, et de chants, tout en se faisant masser délicatement, du premier jusqu'au dernier neurone par de petites vagues de tous ces même éléments, c'est unique. Et que jamais personne n'a expérimenter le silence comme on peut le faire après un album de Meshuggah, un silence aussi lourd, aussi dense, qui semble peser de tout son poids sur vos épaules, et se ruer dans vos oreilles, si bien que du silence, vous en avez jamais entendu autant.

Alors ma bière est vide et je quitte sans cérémonie aucune ce jeune homme, jeune docteur en radiologie en me disant que vraiment, c'est définitivement un beau petit con. Et il me quitte aussi en devant se dire exactement la même chose à mon sujet.

Mais je n'en ai cure, car après tout, c'est une beau petit con, et que Meshuggah c'est sa hantise radiologique, et que pour moi Meshuggah, c'est la meilleur des friandises musicales.

C'est maintenant la fin de cette fausse histoire d'anniversaire et de cette fausse critique d'album.