Éteignez la lumière, plongez la pièce dans la pénombre et lancez ce disque. Noyez-vous dans son atmosphère éthérée et mystique.
Si David Tibet avait su marquer son public avec Thunder Perfect Mind, moi c’est surtout avec Little Pretty Horses et encore plus avec ce Of Ruine or Some Blazing Starre qu’il a su me séduire. Mais “séduire” est un mot trop faible en réalité pour dire combien ce disque me plait. Il ne me séduit pas, il m’hypnotise.
Comme toujours avec Current 93, on est invité à pénétrer une musique conceptuelle. Une musique littéraire, dont les références ne traversent pas seulement l’écriture mais contaminent les compositions. Ici ce que l’on va traverser ce sont des chants médiévaux, des vers surréalistes, ou encore un poème de Ronsard.
Dans son habituel spoken-word, virant parfois en sprechgesang, Tibet fait résonner une armée de mots incongrus mélangeant délires personnels et récits bien étranges sur l’homme face à son propre vide, l’homme face à des forces mortuaires. Il nous raconte des histoires de “bloody hole”, de “great blood”. Il mélange anecdotes d’enfance et symboles de lune, de sang, de mort, d’amour, tous empreints d’un mysticisme parfois païen, parfois imbibés d’une religiosité puissante. Certains passages étant directement tirés de la Bible ou d’écrits religieux, comme le morceau Moonlight you will say et ses citations de Saint François de Sale.
Toutes ces références évidemment, on les devine plus qu’on ne les comprend, parce qu’elles savent avant tout se faire entendre musicalement. Pour l’occasion Tibet est accompagné d’une autre voix, celle d’une certaine Phoebe Cheshire, magnifique, juvénile, sophistiquée et très anglaise. Idéale pour les chants qu’elle déclame.
Côté instrument, la guitare s’éloigne du folklore européen habituel pour nous entraîner dans des arpèges médiévaux d’un autre temps. La musique est minutieuse, voire minimaliste. Mais c’est précisément dans ce minimalisme que la grandeur de l’album se joue.
Ce qui me touche au plus haut point, ce qui rend cette musique si hypnotique, ce sont tous les effets electronico-psychédéliques qui accompagnent les musiciens. Ces effets ce sont ceux d’un certain Steven Stapleton, vrai faiseur de son, ancien musicien d’indus, de krautrock, au CV riche et passionnant (en plus de Current 93, le mec a composé pour plein d’autres groupes, dont Coil). Et ce qu’il fait ici est merveilleux. Les sons qu’il produit, l’intelligence avec laquelle il les distribue, la manière dont il les fait résonner avec la voix de Tibet et la guitare de Cashmore, c’est juste woua.
Soudainement des brèches s’ouvrent, décuplent la musique, donnent à l’ensemble une vraie profondeur mystique, presque effrayante parfois. C’est à la fois beau et malsain. Prenez par exemple Moonlight, You Will Say et mettez-le à fond dans votre casque. Prenez Into The Bloody Hole I Go, ou bien All The World Makes Great Blood, plongez vous dedans.
Ce mariage sonore singulier, si on le retrouve aussi dans Little Pretty Horses, ici il est poussé plus loin encore. Il crée un monde qui n’en finit pas de m’emporter.