Dans ma critique de "Foreverland", le précédent album de The Divine Comedy, je soulignais le profond changement qui semblait s'effectuer dans l'esprit du groupe. Finie l'image du dandy excentrique et excessif qui nous avait charmé dans les années 90. Le nouveau millénaire avait amené l'irlandais à subir différentes métamorphoses, avant de trouver son rythme de croisière dans l'établissement d'une musique pop plus simple d'apparence. mais cachant une intelligence qui n'échappera à aucun auditeur avisé.
Néanmoins "Foreverland" m'avait laissé sur une sorte de faim, un goût de pas-assez. Peut-être que pour compenser, Neil Hannon a voulu se faire pardonner en sortant un double album ?
Choix osé en 2019. Son démiurge se justifiera en évoquant son besoin de place pour s'exprimer.
Effectivement, ce n'est pas moins de seize morceaux qui s'enchaîneront, pour presque autant de styles musicaux.
Un fil rouge se dessinera néanmoins, une influence qu'Hannon n'a jamais vraiment caché : son amour pour les années 80, et plus particulièrement la synthpop et le mouvement minimaliste.
"Office Politics" peut donner à première vue l'image d'un album-concept sur le monde du travail. La majorité des chansons aborde le thème des inégalités, des hiérarchies sociales et autres anxiétés modernes, comme l'avancée de la technologie. S'il est vrai que les double albums sont souvent des albums à concept, celui de The Divine Comedy ne coche pas totalement la case à mon goût.
Je trouve le thème de l'album en vérité peu exploité. On se demande parfois pendant l'écoute où est passée la verve d'antan, car les remarques sur le monde d'aujourd'hui ne vont jamais vraiment en profondeur. Le traitement est souvent identique d'une chanson à une autre, tout comme le vocabulaire.
Plutôt que de parler de notre monde, j'ai l'impression que Neil Hannon se raconte des histoires. Qu'il développe sur un milieu qu'il ne connaît pas et qu'il n'a jamais eu à connaître. Certes je suis en accord avec son éthique, qui est de chanter des chansons plutôt que de s'apitoyer sur son sort. Néanmoins je pense aussi qu'il est bien facile d'adopter un tel ton quand on est très loin de ces préoccupations. Heureusement, Hannon l'assume parfaitement : "I’m a thoroughly leftie, Guardian-reading chap, but of the champagne socialist variety" évoque-t-il dans l'Irish Times.
Neil Hannon me donne parfois l'impression d'un homme qui s'invente des fantaisies pour essayer de raviver un désir toujours plus éteint.
J'ai un peu de mal avec cette perspective, j'ai l'impression que de cette manière on ne fait que rester à la surface des choses.
Heureusement, la variété de l'album et le nombre de morceaux contrebalancent ce point. En dehors des expérimentations, le style est assez proche de The Duckworth Lewis Method, sa collaboration avec Thomas Walsh. C'est plutôt sympathique à l'oreille, c'est plus accessible que cela en a l'air.
Mais j'avouerais ne pas être à l'aise avec l'utilisation de tels adjectifs. J'aimerais en utiliser de plus forts pour la musique de The Divine Comedy. Je me suis demandé à certains moments où était la frontière entre le simple et le simpliste. Par exemple : faut-il nécessairement que tous les refrains consistent en la répétition du titre de la chanson ? Hannon a pu évoquer dans ses interviews le fait qu'il était sorti de sa zone de confort pour cet album. J'ai parfois du mal à voir où. Les mélodies et les expérimentations sonores n'ont pas vraiment évoluées dans leur construction, et une réécoute de "Europop" suffira à le confirmer. Nous sommes donc loin du patchwork mélodique de son début de carrière, et la quantité peut parfois prendre le pas sur la qualité.
"Office Politics" est pourtant loin d'être un mauvais album.
Comme "Foreverland", il possède un certain charme qui se développe, loin des premières impressions.
J'ai évoqué le fait que je n'aimais pas le "thème" de l'album, qui me paraît trop feint à mon goût.
Je pense, mais ce n'est qu'une hypothèse, que les vrais thèmes de "Office Politics", sont la question de la perte et de l'isolation.
En effet, lorsqu'on y regarde bien, nombre de morceaux de l'album abordent cette question sous différents angles. La fin d'une époque ("Norman & Norma", "Dark Days Are Here Again"), la perte de sens que le travail peut nous apporter ("Absolutely Obsolete", "You'll Never Work in This Town Again"), la perte à laquelle invite nécessairement l'amour ("A Feather in Your Cap"). Même dans les moments comiques, l'isolation peut soudainement surgir ("The Life and Soul of The Party", "Opportunity Knox").
Pris sous cet angle, "Office Politics" change d'aspect. Il devient une étrange démonstration d'inquiétude face à l'état du monde. Il représente même presque l'envers complet de "Foreverland".
Je ne suis pas convaincu par la défense des derniers de cordée, mais je pense que celle-ci est un excellent moyen d'éviter de parler des choses importantes. Dans une de ses interviews, Hannon s'excusera même de sans cesse parler de la mort.
Les beaux jours semblent bel et bien partis. Hannon retrouve peu à peu les inquiétudes qui l'ont tant inspiré. Si l'apaisement monotone de "Foreverland" ne me laissait pas de doute dans la direction où allait Neil Hannon, je suis plus dubitatif avec "Office Politics". Les premières écoutes m'ont fait penser à une régression, mais est-ce vraiment cela ? Étonnamment, plus The Divine Comedy avance et plus le groupe ressemble à Neil Hannon. Qu'est-ce à dire ? Le personnage de dandy baroque anachronique des premiers albums ne représente en rien le compositeur irlandais. Derrière le flamboyant vernis se cache en vérité une personnalité bien moins assurée et anxieuse, une personnalité que retranscrit étrangement bien "Office Politics".
Finie les aventures baroques. Hannon reprend pied sur terre et nous invite à le suivre sur un album bien plus sombre qu'on ne pourrait le croire.
Au-delà de toutes ces digressions, The Divine Comedy reste toujours un groupe sans équivalent L'oeuvre d'Hannon est toujours un assemblage d'émotions et d'ambiances contradictoires, et je soutiendrais toujours la sincérité qui se dégage de tels choix.
Ceci, même quand le compositeur ne s'en rend lui-même pas compte.