La dernière grande oeuvre des Mothers of Inventions est aussi un grand album de guitares aux influences mondiales, aux sonorités délicieuses qui semblent toujours vouloir plus, chercher plus, comme ouvrant les pages d'une Encyclopédie pour y puiser l'inspiration. Les motifs se superposent, s'enchaînent, se brusquent, ce qui aura le don d'en énerver plus d'un et de semer la confusion. Frank Zappa n'a jamais laissé indifférent guitare en mains, certains prétendant même que ce n'est pas un grand guitariste et que cette guitare est utilisée comme un instrument secondaire, parfois parodique, liant d'autres instruments dont la présence domine clairement davantage.
Elle est donc secondaire, au même titre que ces soli de guitare intervenant ici de temps à autres mais qui in fine, semblent être les éléments déclencheurs d'un nouveau langage. Une partie du solo fait de tapping sur une note suraiguë au plein milieu de Inca Roads (l'un des morceaux les plus lumineux de Zappa) est une trouvaille sonore sidérante, puisant son inspiration dans un instrument à vent comme la cornemuse. Ce morceau centralise ce qui fait la sève du travail de Zappa avec les Mothers : du cut-up, le collage d'un solo de guitare mémorable issu d'un live antérieur et retravaillé en studio, une utilisation sublime des capacités vocales de George Duke et les marimbas virevoltantes de Ruth Underwood. It fits all.
Le reste de l'album est d'un niveau tout aussi élevé, avec des textes puisant leur inspiration dans l'ambiance générale parfois tempétueuse (Po-Jama People), s'illumine d'envolées glam sur Can't Afford No Shoes et jouit d'un featuring luxueux de l'idole de Zappa, Johnny "Guitar" Watson, sur deux morceaux très rock, embarque l'auditoire dans un voyage ininterrompu à bord du vaisseau rock, parfois quasi opératique, gorgé de guitares jusqu'à l'os, de motifs soul sexy à souhait, sorte de fête sans fin comme un hommage au rock progressif sans en avoir toutefois le caractère prétentieux voire soporifique. A la fois grand album rock dont on ne sait jamais trop si l'on écoute un live ou un produit déglingo nourri aux sessions de studio et odyssée musicale de tous les instants aux influences afro-américaines, One Size Fits All est un beau condensé de ce qu'un groupe de musiciens virtuoses peut pondre, même en mâchouillant la langue germanique avec plus ou moins de réussite. Quant à la suite, elle ne sera et ne voudra plus jamais être la même.