Je connais Kaaris, comme beaucoup de monde, mais je n'avais encore jamais écouté un de ses albums complètement. Et le moins que je puisse dire c'est qu'Or Noir me laisse l'impression que j'avais déjà de lui : quelqu'un de doué mais qui s'embourbe dans une direction musicale brouillonne, un gâchis d'un talent çà et là observable mais noyé par un impératif insensé de passer pour un gangster, de faire du sale, du hardcore, franchissant parfois la limite acceptable de la vulgarité (1. Et pourtant dieu sait que je suis tolérant en la matière 2. Loin de moi l'idée de vouloir fixer une limite à ce qui est acceptable ou pas; c'est juste que quand on atteint un tel niveau de violence lyrique, l'écriture doit être d'autant plus maîtrisée, ce qui donne à la chose, quand c'est le cas, une jouissance extrême).
D'un côté on a donc des éclairs d'écriture et des punchlines assommantes et géniales. Extraits choisis:
- "Je sors le chibre en même temps que la crosse et t'avales le sperme en même temps que ton gloss" (Ciroc)
- "J'sais pas si le pire c'est que les narcotiques s'introduisent,
Ou si le plus dangereux soit que les Sarkozy se reproduisent" (MBM)
- "Même si je perce y'aurait pas assez d'cire pour faire mes couilles au Musée Grévin" (Binks)
- "Je sais exactement où les atteindre, ils ont le clitoris qui clignote" (Je bibi)
- "Malhonnête mais pieux : s'il plaît à Dieu
Un jour, je sécherai les larmes et les torrents, les rivières derrière les fenêtres de mes yeux" (Paradis ou Enfer)
Et de l'autre des successions de mots affligeantes de médiocrité:
- "C'est nous qu'on va ramasser l'argent, dorénavant, et désormais" (Binks)
- "Tes conseils de merde va les expulser dans une clinique d'avortement" (Je bibi)
- "Tu peux m'appeler le Shah, j'peux t'la mettre dans la chatte ?" (Bouchon de liège)
- "Bitch si t'es trop bonne on se retournera pour ter-ma surement par où tu chies" (2 et demi)
L'écriture est donc inégale, soit. Je pourrais encore passer si les instrus ne se ressemblaient pas toutes. Et qu'elles ne constituaient pas juste un amas de bruits, je ne vois pas comment décrire ça autrement. J'ai l'impression que Kaaris a choisi des prod' de ce type juste par besoin de retranscrire ce côté agressif qu'il essaye de donner à son personnage. Sauf que bon, 1h10 de bouillie auditive, ça donne mal à la tête, et t'as beau écrire toutes les punchlines bien trouvées du monde, je vais pas m'infliger ça une deuxième fois.
Sur ce même sujet, je ne sais pas comment il s'est débrouillé par la suite, mais bordel que quelqu'un lui apprenne à placer des refrains dans ses sons. A chaque fois ils détruisent tout, cassent complètement le rythme qu'il avait pu (tant bien que mal) développer jusque-là. C'est notamment un vrai purgatoire lorsque, dans Ciroc, il arrive à bien tenir son flow, sur une instru pour une fois pas trop bordélique, on aperçoit un moment de rap agréable, et PAF un refrain de merde arrive, avec une basse à la con qui couvre la boucle mélodique franchement cool et simple, et des paroles vides et inutiles (Je suis dans le fond du club, thug (prononcé "teugueu", allez savoir pourquoi)).
Et là, alors qu'on désespère de ce gâchis, que même Booba n'arrive pas à rattraper dans un featuring totalement anecdotique, arrive le titre éponyme, Or Noir. L'instru est belle, sans fioritures dégueulasses, l'écriture est constamment bonne et il peut quand-même jouer au gangster tout en laissant apprécier un propos plus introspectif et sincère.
Le soulagement d'entendre enfin de la belle musique n'a d'égale que la déception que ce ne soit la seule bouffée d'air frais d'un album contenant pourtant 17 titres (!). L'éternel problème des albums bien trop fournis pour rien.
Alors peut-être que le chibre de Kaaris est long (en tout cas il n'arrête pas de s'en vanter, avec un ton qui me fait surtout penser aux blagues à la con que tu te lances avec tes potes après 2 x 5dl de bière, ce qui devient très vite insupportable), mais son album l'est, lui, bien trop, et ça j'en suis sûr au moins.
Conclusion: écoutez Or Noir le single, pas l'album.