J'allais voir Baghdad in my Shadow avec une relative naïveté. Tout au plus je savais que c'était un film suisse qui était passé à Locarno cette année, ce qui a été suffisant pour éveiller ma curiosité. En sans le savoir, j'allais voir une séance ponctuée par une discussion avec le réalisateur, très intéressante et c'est ce qui me permet plus facilement l'affirmation du titre de cette critique.
On suit donc un groupe de personnes irakiennes immigrées à Londres, qui fréquentent le même petit bar et forment une petite diaspora parmi celle plus grande des irakiens de Londres et d'Angleterre. Pour protagonistes principaux, on a Amal, jeune architecte mais dont le diplôme ne vaut rien ici donc elle sert audit bar, Nasseer, jeune en voie de radicalisation, Tafiq (je sais plus si c'est son nom exact, mais internet ne m'aide pas), l'oncle de Nasseer, poète sans succès et ancien militant communiste et enfin Aro (là aussi je suis plus sûr de son nom), jeune informaticien gay.
Le propos du film est donc de discuter de libération de la femme, d'homosexualité et de radicalisation islamiste. Le cadre est assez intéressant et le titre du film y fait d'ailleurs échos: même partis d'Irak, dans un pays à priori plus "tolérant", l'obscurantisme et l'oppression (en particulier des femmes et des gays) hantent encore les protagonistes. C'est d'ailleurs assez intelligemment représenté par le mari d'Amal (qui entre autres, la menaçait de lui démonter la face si elle continuait à utiliser des moyens de contraception, back in Irak) qui vient foutre le bordel là au milieu. Seulement voilà, à force de vouloir parler d'autant sujets aussi sensibles au sein de sa religion et aussi lourds et délicats en général, Samir finit par, au mieux, ne pas en dire grand-chose ("vive le cunilingus"), au pire, à adopter un discours à la limite du superficiel, notamment en ce qui concerne la radicalisation. Je pense effectivement qu'il est important d'humaniser le question en mettant en scène un jeune en perte de repères dû, entre autres, à l'absence d'un père, tué en Irak, afin de comprendre les raisons qui poussent vers cette radicalisation. Mais encore faut-il créer un peu d'empathie envers le personnage; or ici on sait juste qu'il n'a pas de père, mais dans aucune scène le lien n'est fait, juste à la fin il fait une connexion foireuse entre son père et son oncle + il a besoin qu'on lui pointe du doigt le sapin de Noël qui se tient dans le bar pour qu'il se rende compte que c'est pas très musulman, pour un jeune ayant grandi en Angleterre c'est assez ridicule qu'il ne l'ait pas compris avant. Du coup au final on a juste un adolescent super chiant, soit mal écrit, soit vraiment stupide, ce qui fait que le sujet semble dangereusement bâclé.
L'autre problème que j'ai avec ce film est le public qui y a presque exclusivement accès. Bon là c'est pas vraiment un défaut du film lui-même, mais plutôt de sa situation: c'est une production suisse qui parle de sujets très délicats. Dans ma petite salle de cinéma biennoise, j'étais entouré de bobos blancs tournant autour de 45-60 ans, entièrement acquis au discours du film, venant donc d'un pays qui a déjà dans une certaine mesure intégré la notion d'égalité hommes-femmes et des droits homosexuels, un public qui ne déclare pas la peine de mort pour un jeune dès qu'il regarde une vidéo de propagande de l'EI. Mais ça me foutait mal à l'aise parce que j'avais un peu l'impression d'être dans une situation à la Get Out: des blancs aisés qui traitent les immigrés comme des enfants en croyant être bienveillants. Je suis convaincu de la sincérité de la démarche de Samir, lui-même Irakien, qui dit avoir vécu les situations qu'il raconte dans ce film. Mais ce film doit (avant tout) être regardé par les gens dont il parle, les Irakiens ayant émigré ou restés au pays. Déjà ça les touchera plus que nous, et c'est eux qui doivent participer en priorité au débat que ce film ouvre et s'approprier ces sujets-là. Or ce film n'est pas distribué en Angleterre (pour des raisons commerciales) ni dans le monde arabe ou alors censuré (par ex. au Caire, dixit Samir). Résultat: on reste entre Européens à se toucher la nouille en se disant combien on est tolérants ici et que ce pauvre tiers-monde ne doit juste qu'apprendre et faire comme nous, s'élever vers le progrès. Laissons-les en discuter eux-même! Mais encore faudrait-il que le film leur parvienne...
Reste un film à la réalisation assez classe, qui cherche à sonder les âmes de ses personnages par des gros plans sur les yeux assez récurrents, et une galerie de personnage (autrement que pour Nasseer, malheureusement assez antipathique, ce qui dessert son rôle) vraiment sympas et drôles à voir vivre et discuter.