D'Organix, on pourrait dire qu'il a le défaut de ses qualités.
Presque de l'ordre de la maquette, ce premier album auto-produit par The Roots renferme autant d'énergie qu'il possède de maladresses. ?uestlove, batteur et membre fondateur du groupe, confessera d'ailleurs 15 ans plus tard que certains effets de cet album sont parmi ceux qu'ils regrette le plus dans sa carrière (en faisant référence au traitement de la caisse claire sur le morceau Good Music).
En même temps, c'est aussi en cela qu'on aime Organix : il ne sait cacher ses origines. Le groupe qui s'appelait au départ Square Roots était alors composé de trois amis, qui partageaient l'amour d'une même musique (le hip hop) et d'une même énergie (quelque part entre la scène et la rue). Sauf que contrairement à de nombreux arrivants dans le monde du hip hop de l'époque, leur rapport à la musique se fait à travers les instruments, et non une boite à rythme bon marché ou une paire de platines vinyl.
Organix trahi donc immédiatement le groupe qui tente sa première incursion en studio. Ni la qualité d'enregistrement, ni celle des arragements n'est ici renversante et Le mixage est parfois étrange. Néanmoins, la volonté est là, l'énergie aussi, et les bases d'une carrière singulière et indentifiable également.
L'arrivée au passage du bassiste Leonard Hubbard et de son baton de réglisse, ainsi que celle de Scott Torch au Fender Rhodes apporteront l'assise musicale, le corps que Black Thought et Malik B vont venir habiller de leurs rimes sur la rythmique pas encore claquante de ?uestlove. On le voit ici, cet ensemble justifie le titre, qui sonne comme un manifeste pour une autre voie possible du hip hop : celle d'une instrumentation live totale, d'un retour aux bases participatives, d'improvisation, de rencontre directe avec un public.
De musique, il est donc de nouveau question ici. On oublie le formatage radio (les morceaux peuvent durer 1'30", comme 12'30"), les codes des boites à rythmes, des samples funky ultragrillés, du turntablism pour se recentrer sur une base simple : basse, baterie, clavier. Le côté funky est encore là, mais moins direct, mélangé aux influences jazzy et cool de certain, plus sèches et rythmées des autres. Les voix et les textes feront le reste, la complémentarité des deux rappeurs faisant merveille, tant dans la façon d'écrire les texte que dans celle de les dire. Et déjà, on voit que The Roots est une structure plus ouverte que son premier nom le laissait penser : accueillant sur leurs terres d'autres rappeurs amis, les morceaux qui en découlent prouvent que chacun trouve la place pour exister et s'exprimer, sans que la marque de The Roots ne soit dénaturée.
Pour ceux qui souhaiteraient découvrir The Roots, Organix est sans doute le dernier album à conseiller. D'abord parce qu'il est un peu inconstant dans la qualité : si on trouve d'excellents titres qui resteront à mes yeux parmi les meilleurs du groupe (Good Music, notamment), il y en a d'autres qui auraient sans doute pu rester à l'état de maquette. Ensuite parce que c'est sans doute celui qui sonne le moins bien à l'heure actuelle, mais également parce qu'il ne reflète pas encore la richesse des capacités de The Roots.
Par contre, il devient très intéressant pour qui a pris le train en marche et veut se souvenir que chaque voyage a un point de départ.