Après un âge d'or pendant la décennie 90's à coups de classiques indémodables (comme "Première Consultation" de Doc Gynéco, "L'Ecole du micro d'argent" d'IAM, "Suprême NTM", "Mauvais Oeil" de Lunatic ou "Quelques gouttes suffisent…" d'Arsenik et encore "Opéra Puccino" d'Oxmo), le rap français a subit une très longue traversée du désert de presque 10 ans suite à une absence cruelle d'innovation et surtout un tiraillement entre le commercial à la Skyrock assez nauséabond et une pseudo-"banlieusardisation" dans l'approche de la musique et des paroles qui renonce à toute exigence artistique. Je ne parle même pas cette prédentue subversion ou ce soit disant "rap conscient" qui est en fait devenu tout aussi mercantile que la dernière merde de Booba (même si je sais qu'il y a de la sincérité chez certains rappeurs, mais chez d'autres, ça sent clairement l’hypocrisie et la posture).
Et puis, soudain, est apparue une vague de fraîcheur en 2010. Une nouvelle génération de rappeurs affranchie des codes et des clichés fout un gros coup de pied dans la fourmilière du rap game qui en avait bien besoin. Ils sont pas forcément issus des banlieues, ni forcément agressifs ou contestataires mais juste des passionnés du hip hop et respectant sa culture, influencés par tellement de choses, regardant le passé pour mieux voir le futur (tellement qu'on les a collés l'étiquette de "old school") et prêts à révolutionner le genre et sortir des sentiers battues.
Il y a L'Entourage, 3010 , Némir, Orelsan, Sadek, Joke, L'Animalerie et encore plein d'autres...Mais ceux qui vont le plus buzzer ce sont les 1995, un groupe parisien composé de 5 rappeurs et un DJ ayant chacun leur particularité. Même si Nekfeu sort le plus du lot grâce à sa polyvalence et son charisme, j'ai une affection pour Sneazzy West malgré sa régression au fil des années. Areno Jazz et sa nonchalance donne une touche intéressante à l'ensemble et Alpha Wann, même si je suis pas friand de son flow, a au moins le mérite de jouer avec sa technique et de la modeler en fonction du rythme. Le point noire: Fonky Flav qui manque de personnalité et rappe toujours de la même manière en dépit de bien porter 2/3 des refrains de l'album. Les membres se complètent bien même si il y a une hétérogénéité dérangeante qui se ressent sur certains morceaux ( Fonky Flav très mal à l'aise dans "Pétasse Blanche" ou Sneazzy nullissime dans "Pleure Salope").
Après 2 EP qui ont fait monter la sauce, voilà qu'ils déboulent avec leur 1er album, une synthèse de leurs précédents disques. Pas vraiment de surprise, on retrouve tout le sel de leur univers: sample de black music, flow souple et efficace, instru très propre, refrains calibrés et entêtants et paroles assez légers dans l'ensemble. Bref, ça kick grave!
Le souci, c'est qu'il y a une certaine redondance sur pas mal de morceaux (les derniers précisément) qui se laissent trop aller dans une zone de confort et dans une convenance molle du genoux(Souviens-toi , Ça raisonne , Flotte mais jamais ne sombre , Le passage, J'aime ça) ou qui sont très lisses, trop formatés (Réel, Flingue Dessus et Blabla, comme par hasard les 3 singles de l'album).
Heureusement, le groupe surprend et rappelle à quel point il sait insuffler un vent de fraîcheur avec des chansons audacieuses: d'abord, le meilleur, "Jet Lag" (1), une sorte d'OVNI jazzy ponctué d'extraits d'animes japonais. Avant, l'album s'ouvre sur un délire chamanique (2) pour ensuite continuer sur le titre éponyme (3), un des seuls un peu réfléchis (une vision sociologique sur Paris, quoiqu'un peu naïf et démago) et portés par un saxophone nous susurrant à l'oreille. On passe à "Baisse la Vitre" (4), délire West-Coast super fun que n'aurait pas renié Dr.Dre et "Pétasse Blanche" (5), une critique subtile de la drogue dure à travers une instru dance et minimaliste enjaillante. Et puis tout à coup, on est stupéfait par un morceau purement instrumentale et kiffant à mort, le genre de son que tu fous en soirée et tu te défoule dessus, le monumental "103" (6)! Ensuite, il y a "J'Participe"(7) qui se démarque par son ambiance mélancolique et "Pleure Salope", une chanson qui se veut "consciente" mais c'est juste tire-larmes et carrément raté dans son concept malgré un refrain marquant. Pour clore l'album, 1995 nous fait planer avec "Parapente" (8), une ode à la fumette dans laquelle les MC's rappent comme si ils étaient dans les vapes...c'est con, c'est un titre ayant été disponible seulement lors de la précommande ITunes alors qu'il avait tout à fait sa place dans l'album.
Par contre, il y a un problème permanent avec ce groupe: le manque de profondeur et de maturité dans les textes. Essentiellement, les jeunes parigauds parlent de pavanage sur Paris, de meufs, de soirées, de roulage de cannabis, de se faire de la maille, de "meilleur MC/tu peux pas test/on est des oufs/on vous nique tous" etc...Ça n'arrive pas à développer des thématiques, questionner des choses ou tout simplement nous en apprendre plus sur eux, sur ce qu'ils sont, pas juste des ados attardés qui ne rêvent que d'une vie frivole (personnellement, j'ai retenu aucune punchline sur les 17 pistes). Ils ont à peine la vingtaine, OK, mais Kery James avec Ideal J avait le même âge qu'eux quand il nous pondit "Hardcore" en 1997, donc bon. Et quand ils essaient de prouver le contraire ("Pleure Salope" ou "Le Passage"), c'est complètement loupé.
C'est juste ça qu'il leur manque pour durer, marquer les esprits et graver des classiques dans l'histoire du rap français...Mais j'ai foi en eux, ils ont la capacité pour progresser.
En attendant, voyez-les en live, ce sont les meilleurs de la scène rap j'vous dis! (9)
(1) http://www.youtube.com/watch?v=57tkH_cu0c8
(2) http://www.youtube.com/watch?v=tQsCP_y_DXg
(3) http://www.youtube.com/watch?v=0IdSXLnQqtk
(4) http://www.youtube.com/watch?v=TckRI8Ie8fs
(5) http://www.youtube.com/watch?v=s8HPXYegc-Y
(6) http://www.youtube.com/watch?v=gn32V8eGOKE
(7) http://www.youtube.com/watch?v=AYSW6QLq51I
(8) http://www.youtube.com/watch?v=5oFxgm21Ik8
(9) http://www.youtube.com/watch?v=WpwxQkI7CF4
