Petite précision en guise d'introduction: j'ai écrit cette chronique il y a plus de 6 ans sur un blog que j'avais. Je viens de la relire là, et je la trouve pertinente, du coup, je trouve intéressant de la poster ici. J'y ai apporté quelques modifications, de syntaxes surtout. Bonne lecture! ;)


Van Der Graaf Generator, c'est un peu l'élève turbulent de la classe élitiste du rock progressif des années 1970. Car Van Der Graaf façonne sa musique en totale opposition avec ses congénères en proposant quelque chose de lourd, agressif, saturé et volontairement désagréable ... Ce qui en fait quelque chose de terriblement fascinant, mais derrière cette fascination, vous aurez des séquelles, que l'on soit fan ou pas. Et pourtant, pour que cet album soit fascinant, il faut avant tout le comprendre et faire abstraction de son enveloppe corrosive. Car oui, quand j'ai écouté Van Der Graaf Generator pour la première fois (album Godbluff de 1975), je ne lui trouvais absolument aucun intérêt et avait même oser dans ma barbe à me dire que ce groupe était la représentation même du Rock-Progressif bâclé chiant, qui n'a de prog que la forme! Et aussi absurde que cela peut paraître, c'était clairement justifiable.


Et il m'a fallu de nombreuses écoutes supplémentaires pour progressivement rectifier ce préjugé hâtif. Non, Van Der Graaf est beaucoup plus subtil que ça, mais encore faut-il avoir le courage de se l'affirmer. Même si sur le plan strictement musical, ça n'est pas spécialement révolutionnaire, l'approche, quant à elle, pourrait l'être. Une musique dominée par les saxophones et des orgues saturées, où la place de la guitare est extrêmement minimaliste (quelques accords à la sèche ou quelques glissandos très furtifs. Même les interventions de Robert Fripp sont à peine audibles) et où la basse n'est pas systématiquement tenue par une guitare basse, tout cela soutenu par la voix de lépreux de Peter Hammill, hallucinante par son registre, cela change de façon assez radicale des formations conventionnelles du Rock de cette époque. Et cette absence d'instruments conformistes renforce son intérêt. Surtout que les quatre gaillards ont tous un jeu commun, qui fait l'identité de leur musique. Peter Hammill raille ses tripes comme s'il était constamment à bout de souffle, dans un moment de pur agonie orgasmique, Guy Evans martèle ses fûts avec violence et de manière assez peu académique, Hugh Banton pose des ambiances rêches et décharnées avec son orgue tandis que David "Jaxon" Jackson fait hurler ses saxophones en osmose avec la rudesse mélodique des orgues de son collègue. Et même ses interventions à la flûte sont acerbes, malgré le potentiel lyrique qui se dégage de cet instrument.


"Pawn Hearts" est un blocos sur un service de porcelaine. Instable et imprévisible, cet album se démarque par sa folie, une folie schizoïde où l'homme est en confrontation avec lui-même et avec ses questions métaphysiques universelles, où personne ne peut lui venir en aide. Certaines phases atteignent un stade de pur démence (Milieu de "Man-Erg", milieu et fin des trois quarts de "Plague Of Lighthouse Keepers") où l'on prend provisoirement la peau d'un aliéné laissé aux soins psychiatriques se présentant manifestement comme néfastes. Ces passages de psychose sont masturbatoires et renforcent l'intérêt des morceaux cités car plus ces phases sont intenses, plus l'attente jusqu'à ce qu'elles se manifestent sera jouissive, comme une montée en puissance qui est guidée par le futur plaisir que cela va nous procurer.


Quand on écoute Van Der Graaf Generator, on est un être en adéquation avec le tourment et les aspects les plus détestables de la vie et on trouve en cette musique une sorte de lamentation et de séance d'auto-flagellation introspective, où les éruditions rossées de Peter Hammill nous servirait de gourou spirituel vers un au-delà incertain. Quand on écoute Van Der Graaf Generator, on ne veut pas être bien. On veut souffrir, mais malgré cela, il y a un côté thérapeutique qui en découle qui est indéniable. Sortir les mauvaises choses de soi-même et exploiter tout leur potentiel malfaisant. Et cela fait du bien. Quand j'écoute les phases apocalyptiques de "Plague Of Lighthouse Keepers" où Hammill vocifère son mal-être, je ne peux m'empêcher de l'accompagner dans sa frustration funèbre, une transe furtive et tendue s'empare de mon corps et j'affronte virtuellement les maux vidés du sac de l'humanité.


Mais Van Der Graaf Generator n'a rien à voir avec les groupes 'Gothico-Black-Emo' où le mal-être se veut être une idéologie."Pawn Hearts", c'est une baignade à 14 degrés dans la manche sur une plage de galets avec un vent à 110 kilomètres couverts de nuages gris menaçants. Pour compléter le tableau, on pourrait même rajouter des vagues que l'on se prendrait dans la gueule avant même d'avoir mis les pieds dans l'eau. On plonge dedans, on s'en mordrait presque mais on en ressort avec de l'espoir et de la niaque, et aussi un sentiment extrêmement jouissif d'avoir l'impression de ne pas être comme les autres et de fustiger du regard le monde avec un certaine impression de ressortir d'un combat inexistant la tête haute. Van Der Graaf, c'est le hurlement universel, c'est la culture de la souffrance qui est en nous et d'en exploiter toutes les richesses et proposer une œuvre poignante, mûre et terne.


Line-Up: Peter Hammill: Guitares, Piano, Chant / David Jackson: Saxophones, Flûtes / Hugh Banton: Claviers, Orgues, Guitare Basse / Guy Evans: Batterie, Piano.


Note de conclusion:


Il est certain que j'aurai un avis légèrement différent si je devais chroniquer cet album aujourd'hui. Mais l'état d'esprit dans lequel j'étais au moment d'écrire cette chronique est totalement juste avec la nature de cet album, si spécial. En fait, je n'ai rien a rajouté, j'aurai simplement changé la forme, mais je trouve que mon ressenti était assez juste.

lépagneul
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le 4 oct. 2015

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