C’est officiel depuis déjà quelque temps : Myles Kennedy dort peu. À la fois frontman pour les Conspirators de Slash et artiste solo sous son propre nom, l’ancien leader des Mayfield Four est surtout le visage aux cheveux longs d’Alter Bridge, quatuor fondé aux côtés de Mark Tremonti sur les cendres tiédasses de Creed. Une généalogie controversée qui n’aurait guère permis d’anticiper la rigueur qualitative du groupe, creusant depuis vingt ans son sillon d’un métal mélodique et mélancolique, vaillant et sophistiqué.
Pour le soufre, le danger et le rock n’ roll à bave aux lèvres, il faudra repasser. En revanche, la volonté de concilier des influences comme Tool, Jeff Buckley, Pantera et Soundgarden suffira à susciter une curiosité que le jugement sur pièce récompense souvent généreusement. On restera libre de trouver tout cela assez prévisible, de chipoter sur la production parfois très clinique des guitares à grosses mécaniques, ou de pointer du doigt un lissage post-grunge susceptible de dater certains tics de style. Reste que l’ambition des compositions et la virtuosité de leur exécution ne manquent jamais de faire passer la pilule. Et surtout, ce bon Myles est un chanteur né. La belle gueule de paladin est à peu près incapable du moindre faux pas vocal, tout en faisant preuve de nuances vertigineuses à même de séduire les amateurs de classic rock héroïque. De quoi lui pardonner d’avoir la main un peu lourde sur les clichés élargis en titrailles. Silver Tongue, This Is War, Last Man Standing, autant d’expressions qui ne font guère justice aux chansons pourtant convaincantes qu’elles intitulent. En outre, Myles est aussi capable de l’exact opposé, par exemple avec Fable Of The Silent Son qui, derrière un titre ampoulé, semble vraiment avoir une histoire à nous conter.
Coté musique, Scott "Flip" Phillips et Brian Marshall restent une section rythmique aussi chirurgicale que guerrière, et Mark Tremonti continue d’honorer son sobriquet de "Tremonster" avec une constance dantesque. Sans être une chanson inoubliable, Stay est surtout l’occasion de constater que ses aventures en solo ont permis au guitar hero baraqué de devenir son propre chanteur, qui n’a plus à rougir en prenant le micro. Aux côtés d’un cador olympique comme Kennedy, la réussite vaut son pesant de charisme. Sans revenir totalement aux envolées épiques de Fortress (2013) ou à la mélancolie de Blackbird (2007) et ABIII (2011), Pawns & Kings est finalement un album d’Alter Bridge tout à fait honorable. Plus fluide que The Last Hero (2016) et moins audacieux (certains diraient « périlleux », mais pas moi) que Walk The Sky (2019), il fera le bonheur de ceux qui préfèrent Cornell à Cobain, l’automne à l’hiver et l'héroïsme aux hurlements. Ils se reconnaîtront, à n'en pas douter.