Je crois que je n'insisterai jamais assez sur l'importance
de l’œuvre de Famine pour quelqu'un qui, comme moi, est issu
d'une famille de paysans du Livradois.
En passant du temps dans des recherches généalogiques, en
lisant les livres, ou mieux, les blogs retraçant la vie
des familles n'ayant pas quitté, durant des siècles, ces
vallées, quintessence de la vie rurale française sous
l'Ancien Régime, j'ai pu reconstituer quelques éléments
de leurs vies, de leurs superstitions lugubres transmises
par la voie orale, de la rudesse des hivers qui poussait
les hommes à quitter leurs champs pour devenir des scieurs
de long itinérants, de la misère, enfin, qui en condamnait
d'autres au brigandage, à la folie ou au suicide.
Néanmoins, une chose manquait, une chose essentielle :
une ode, une œuvre poétique qui soit capable de capter l'âme de
ce peuple en voie de disparition et de le transmettre à
leurs descendants, afin que ces hommes qui se sont battus
pour survivre, que ces paysages façonnés par leur travail,
n'aient pas existé en vain.
Famine, en quelques vers (La Chayse Diable, Le Diable Existe,
Avant le Putsch, la fin de La Mesniee Mordrissoire,
ou, dans cet album, Moins Trente Degrés Celsius et ses paroles
tirées de Verhaeren),
en quelques phrases musicales dont la mélancolie est directement
inspiré de l'atmosphère du Livradois (introduction et seconde partie
d'Ode, introduction de Niquez vos Villes, vielle sur Démonarque,
riff de seconde partie de Moins Trente Degrés Celsius), a construit
cette œuvre.
Surtout, il a échappé au piège classique de la poésie : la
grandiloquence et la sensiblerie impudique auraient constitué
la pire des insultes pour honorer la mémoire des hommes
virils et humbles qui ont peuplé ces terres. Sa poésie,
préservée par le voile pudique de la fausse vulgarité,
la noirceur de ses traits, ses moments de gouaillerie
rabelaisienne, nous donnent le ton d'une justesse parfaite que
seule la sensibilité d'un Famine était capable d'atteindre.
Alors, disons-le une fois pour toutes : merci !
La terre, elle, ne ment pas ; Famine a su en chanter la vérité.