Dans l'histoire de la pop, il y a la famille Jackson, la famille Wilson mais il y a aussi la famille Wiggin.
L'action démarre à la fois dans les années 60 et dans le New Hampshire.
Austin Wiggin Jr a 3 filles : Betty, Helen et Dot qu'il élève seul sans le moindre contact avec le monde extérieur (Il ne les envoie pas à l'école mais leur paie des cours particuliers). Comme tout père aimant, il est convaincu que ces dernières ont du génie et leur paie donc des cours de musique. Elles sont ravies et ne cessent de répéter dans le garage familial.
Au bout de quelques temps, persuadé qu'elles sont au point et que leur talent ne demande qu'à être gravé dans la cire pour exploser à la face du monde qui n'attend que çà, Austin Wiggin Jr noue des liens avec un label local qui loue donc un studio d'enregistrement avec ingénieur du son incorporé. Ce dernier, commercial mais pas escroc tente d'expliquer au père que la prunelle de ses yeux n'est pas exactement au point et qu'ils pourraient tous revenir ultérieurement. Le père fait valoir qu'il a les moyens de payer et que leur génie est avant gardiste...
Quelques dizaines d'heures plus tard les 12 morceaux originaux (composés par Dot) sont mis en boite sous la houlette de Terry Adams (NRBQ), mixés et environ 100 exemplaires sont pressés. Dans la foulée le distributeur part avec la caisse et personne ne devrait plus jamais entendre parler de The Shaggs et de « Philosophy Of The World »...
...mais, quelques temps plus tard, par une facétie de l'Histoire, un exemplaire se retrouve entre les mains de Frank Zappa qui va le faire écouter à Captain Beefheart et s'en faire l'attaché de presse au point de déclarer (sacré Frank) que The Shaggs sont « meilleurs que les Beatles ».
A compter de ce jour l'album est devenu culte et, jusqu'à la réédition en CD, valait très cher dans les conventions.
Que vaut-il ?
Si vous voulez un album de bonne musique, bien jouée, que vous pouvez même laisser en fond sonore pendant que vous écossez les petits pois, laissez tomber, vous allez devenir fous furieux au bout de 30 secondes. Les filles chantent faux, jouent n'importe comment, elles ne sont pas en rythme.
Si, par compte, vous avez écouté beaucoup de musique dans votre vie et que vous finissez par trouver que les productions actuelles ont toutes le même son, sont aseptisées, c'est exactement l'album qu'il vous faut. Il est drôle (le jeu de batterie d'Helen démode totalement le jeu de Mo Tucker), naïf (les textes sont hallucinants) et surtout vous n'en avez aucun comme çà dans votre discothèque et une seule écoute suffit pour le graver à vie dans votre mémoire.
En résumé, musicalement, objectivement, cet album vaut 1 mais, sentimentalement, tel le vilain petit canard, il vaut 10 à mes yeux.
Captain Beefheart a embauché des musiciens professionnels pour faire avec « Trout Mask Replica » ce que les soeurs Wiggin ont fait sans savoir jouer.
Dans la fameuse Ile déserte je ne déclarerai pas avoir emporté cet album mais c'est que je l'aurai emporté en douce, caché sous le T-shirt.