Je n'ai pas vu Titane et n'irai certainement jamais le voir.
Ceci dit, je ne peut résister au plaisir de vous faire partager la meilleure critique que j'ai eu l'occasion de lire à son propos :
"Quand j’étais enfant, elle m’emmenait au cinéma le mercredi. Au fil des années, elle a dû se taper tous les Walt Disney, de Bernard et Bianca à TRON, et puis aussi Grease, E.T, La boum…De temps en temps, elle me dit encore « et si on se faisait un ciné ? ». L’année dernière, elle a adoré « Parasite ». Alors, quand elle a appris que la palme d’or à Cannes avait été décernée à une française, elle a voulu qu’on y aille. Je dois vous avouer que, même si j’avais apprécié « Grave » le précédent film de Julia Ducournau, je n’étais pas très chaude pour aller voir « Titane » avec ma tante Yvette qui a aujourd’hui 78 ans. J’ai essayé de lui expliquer que le film était assez violent, dérangeant, mais elle n’a rien voulu savoir. Elle m’a dit « j’en ai vu d'autres... Et puis, y’a Vincent Lindon ». Tatie aime beaucoup Vincent Lindon, en tant qu’acteur et aussi parce qu’il a eu une brève histoire d’amour avec Caroline de Monaco dans les années 90. C'est un homme qui a côtoyé la royauté et à ses yeux ça compte. Elle a dit aussi « quand t’étais petite tu adorais ça, les histoires de voitures vivantes et tu voulais toujours regarder La coccinelle à Monte-Carlo». Devant cet argument imparable, j’ai bien compris qu’il était inutile de discuter et voilà comment on s’est retrouvées, Tatie et moi, à la séance de 13 h 25 au Comédia. (Je prends toujours des places en début d’ après-midi, quand il n’y a personne, parce que Tatie ne peut pas s’empêcher de commenter les films à voix haute). A ce stade du récit, selon la formule consacrée, il va y avoir des spoilers. Donc si vous avez l’intention d’aller voir le film NE LISEZ PAS la suite ! L’histoire commence avec la petite Alexia, qui suite à un accident de la route se retrouve avec une plaque de titane dans le crâne. Dès sa sortie de l’hôpital, la gamine se précipite pour étreindre et embrasser une voiture. Quelques années plus tard, Alexia est devenue Sérial-killeuse et danseuse ; elle tue des gens et elle fait des shows sexy sur le capot des voitures (pas en même temps, bien entendu, elle cloisonne ses activités). On la voit danser sur une Cadillac, dans un endroit qui ressemble à un mélange entre le salon de l’automobile de Genève et un Peep show à Pigalle. Tatie dit qu’il faut quand même être drôlement souple pour faire des trucs pareils et que, elle, avec son arthrose elle ne pourrait pas. (Je visualise un instant ma Tatie grimpant sur une voiture pour y onduler lascivement en bas résille et je suis soulagée qu’aucun traitement ne soit réellement efficace contre les raideurs articulaires) Dès le début du film, Tatie ronchonne, parce que l’héroïne est mal coiffée. On ne passe pas 40 ans de sa vie à tenir un salon de coiffure sans en garder un amour des beaux brushings à l’écran. Or, Alexia attache ses cheveux n’importe comment avec une sorte de baguette chinoise. Tatie désapprouve cette pratique qu’elle trouve négligée. Alexia a mal au ventre et elle est un peu à cran. Alors quand elle se fait suivre et draguer lourdement par un fan, elle lui enfonce sa baguette chinoise direct dans l’oreille. Il faut bien viser. Tatie ironise « tu vois, Elle, elle y arrive à se servir des baguettes. Pas comme toi au restaurant, qui es tellement maladroite ». Je choisis d’ignorer la provocation. Nous réglerons ça plus tard. Le fan convulse et agonise pendant un certain temps. Il vomit. C’est assez désagréable à voir. Je regarde du coin de l’œil : Tatie ne bronche pas. Peut-être que toute sa vie dans son salon, en faisant des chignons, elle a rêvé elle aussi de transpercer le cervelet des clientes trop pénibles? De retour chez elle, la jeune danseuse fait l’amour avec sa voiture. J’ai moi-même une très jolie 208 Peugeot Blue HDI rouge métallisé et j’y suis très attachée. Mais entre nous, c’est purement platonique. Alors que dans le film, ce n’est pas une licence poétique, c’est même assez explicite et torride. Je zieute à ma droite : Tatie ne bronche toujours pas. Dans les séquences suivantes, Alexia est enceinte. De la voiture. On le sait parce qu’elle a des fuites d’huile de vidange. (Alexia a des fuites. Pas la voiture. Ne commencez pas à tout mélanger, restez concentrés, c’est pas moi qui ai écrit le scénario). Elle essaie de se faire avorter dans les WC avec son aiguille à chignon tout en mordant du papier toilette. Tatie étouffe un bâillement. Pour varier les plaisirs et changer des leviers de vitesse, Alexia a une aventure avec une de ses collègues danseuses qui l’emmène dans son appartement. Les choses dégénèrent un peu entre les deux filles et hop, un coup d’aiguille à chignon dans le cervelet : La collègue est morte. Tatie dit que c’est le problème avec les femmes enceintes : elles sont imprévisibles. Et puis, dans la foulée, Alexia chahute un peu violemment avec les trois autres colocataires de l’appartement avant de les trucider un par un. Effectivement, elle est très imprévisible. Les hormones, sans doute. (Moi aussi, quand j’étais enceinte, j’avais des pulsions bizarres ; une fois, j’ai même eu envie de mâcher du papier. Mais jamais je n’ai songé à enfoncer un pied de tabouret dans la tête d’un type ou d’en transpercer un autre avec un tisonnier). Ensuite, Alexia (dont le ventre grossit et qui a de plus en plus de fuites d’huiles), pour échapper à la police décide de se faire passer pour Adrien, un jeune garçon disparu 10 ans plus tôt. Elle procède à quelques modifications corporelles pour que ça soit crédible : Elle se scotche le ventre et les seins, elle se coupe les cheveux et elle se défigure dans une scène assez violente. Je jette un œil à Tatie : Elle ne bronche pas quand l’héroïne se fracasse le nez à coup de poing, pour finir par s’éclater la tête sur le lavabo et qu’elle pisse le sang. En revanche, le coup du « je me taille les cheveux n’importe comment aux ciseaux dans les toilettes » je sens que ça ne lui plait pas du tout. Elle bougonne et commence à s’ennuyer ferme ; vivement que Vincent Lindon arrive. Ça tombe bien, il a été appelé par la police pour reconnaître son fils disparu. Tatie est assez contente parce qu’il incarne un pompier dans le film et que c’est presque aussi bien que d’avoir eu une aventure avec une princesse monégasque. Il est si heureux d’avoir retrouvé son enfant qu’il refuse le test ADN. A ce stade, on comprend qu’il est tellement perturbé que même si on lui avait refilé Jean Luc Mélenchon costumé en petit garçon, il l’aurait emmené pareil. (Ne faites pas cette tête, ça aurait été une autre histoire, mais ça aurait été bien aussi) A la caserne, Vincent Lindon fait régner l’ordre. Il est très musclé parce qu’il s’entraîne et qu’il se fait des piqûres dans les fesses tous les jours. Tatie me soutient que c’est pour le diabète mais je refuse de me lancer dans une explication sur les injections de stéroïdes maintenant. Au début, les relations entre le père et le fils sont assez tendues, essentiellement parce que Adrien/Alexia fait la gueule tout le temps. Tatie prétend que c’est parce que chaque soir, il/elle doit se dé-scotcher le torse et le ventre, et que ça doit faire très mal. Elle dit que quand j’étais petite, c’était toute une histoire quand il fallait me retirer un pansement. Une fois de plus, je ne réponds pas à la provocation. Vincent relooke son fils en pompier et il lui rase la tête un peu n’importe comment. Je sens que Tatie recommence à s’agiter sur son siège. Peu à peu, leur relation se réchauffe et Adrien / Alexia s’intègre dans la caserne. Il participe aux interventions avec l’équipe, malgré ses problèmes de fuites d’huile. Sur une intervention d’urgence, il fait un massage cardiaque à une vieille dame, guidé par son père qui lui chante « la Macarena. (A ce stade, je me sens obligée de vous repréciser que ce n’est PAS moi qui ai écrit le scénario et que je raconte juste). Je sens que Tatie est choquée. Elle me glisse à l’oreille que si un jour il lui arrive quelque chose, elle ne veut pas être secourue par des pompiers, même si toute la caserne a couché avec Caroline de Monaco. Je lui promets qu’on appellera le Samu, pas les pompiers. Elle est rassurée. Ensuite, c’est le bal du 14 juillet, tous les jeunes garçons se mettent torse nu et dansent au ralenti. La scène est plutôt bien filmée et la musique excellente. Adrien / Alexia danse sur le toit d’un camion. C’est assez hypnotique. Tatie roupille. Je la pousse du coude, au moment où Vincent Lindon découvre son fils, tout nu. Il est de moins en moins étanche et il a des seins et un gros ventre de femme enceinte. Comme il s'est tissé un lien fort entre eux, il ne lui en tient pas rigueur, d’autant plus que l’accouchement est imminent : Adrien / Alexia a des douleurs terribles, perd de plus en plus d’huile de vidange et se gratte le ventre de manière compulsive. C’est Vincent qui l’aide à accoucher. Il ne parle pas, il est concentré et appliqué. De son côté, Tatie est déchaînée, elle fait le doublage de la séquence : « Soufflez, soufflez, madame, courage, on voit la calandre, allez-y poussez, oh, on aperçoit ses petits phares, comme c’est mignon, mais c’est une Twingo, toutes mes félicitations ! ». (Vous comprenez pourquoi je choisis toujours la séance de 13 h 25 en semaine). Je ne vous raconte pas la fin du film, qui est assez triste et qui montre que même les serial Killeuses qui ont des fuites d’huile et les sapeurs-pompiers qui se font des piqûres dans les fesses peuvent avoir des sentiments. A la sortie, Tatie est dubitative. Elle me dit « c’était quand même un peu con, TON film hein». Je ne relève pas la mauvaise foi sidérante du propos. J’argumente que la démarche de la réalisatrice est audacieuse et intéressante et que c’est du pur cinéma « de genre » . Tatie bougonne que ça reste « du genre un peu con quand même ». Je n’insiste pas mais je fais remarquer que l’actrice, Agathe Rousselle est impeccable. Tatie prend d’un air pincé. (Elle préfère Leila Bekhti ou Cécile de France qui sont toujours bien coiffées). Quant à Vincent Lindon nous convenons qu’il est parfait en homme perdu et que sa transformation est impressionnante. Tatie tempère toutefois mon enthousiasme en prétendant qu’il ne sera jamais aussi bon que dans « la crise » et que « du temps où il était avec la petite Caroline », il n’aurait jamais tourné dans un film pareil. On se chamaille jusqu’à ma voiture. Arrivées au parking, avant de monter dans ma 208, je vérifie discrètement qu’il n’y a pas de tâche d’huile au sol."