Récemment vainqueur du 1er prix au concours international Tchaïkovski, où il s’était fait remarquer notamment par une interprétation brillantissime du Concerto pour piano n°2 de ce compositeur, Alexandre Kantorow est sans doute l’un des pianistes les plus prometteurs de sa génération (né en 1997).
Immédiatement séduisant par sa technique irréprochable, Kantorow n’en est pas moins doté d’une sensibilité remarquable comme en atteste son jeu à la fois sobre et très concerné. De plus, il est adepte d’un répertoire plutôt exotique, se disant très proche de Brahms, de Saint-Saëns et de Liszt.
C’est avec ce dernier que des rapprochements ont été rapidement effectués par la presse spécialisée, le jeune homme étant effectivement doté d’une rapidité dans l’exécution sans sacrifier à la clarté des notes qui a de quoi laisser bouche bée.
Un talent rare à mettre sur la longueur inhabituelle de ses doigts qui lui offrent une grande latitude dans les pièces rapides (cf. la cadenza du 1er mouvement du Concerto n°2) tout en donnant un soyeux absolument splendide sur les pièces « lentes » ou « romantiques » (cf. la fin du 1er mouvement).
Un style donc qui se prête parfaitement à Saint-Saëns et ses concertos pour piano, injustement oubliés de la prolifique carrière du compositeur français. Il y en a trois dans le présent disque, et parmi eux c’est le n°5, « l’Égyptien » qui est encore le plus connu. On saura donc gré à Kantorow de s’attaquer aux n°3 et n°4, des œuvres pourtant tout à fait plaisantes, en compagnie de la Tapiola Sinfonietta, l’orchestre dirigé par son père, Jean-Jacques Kantorow.
Les deux principaux reproches qu’on peut faire à l’album sont justement la qualité de l’orchestre, assez banale, et surtout la prise de son, qui manque de faire ressortir certains accords sur les pièces les plus basses. Il faudra donc se risquer à augmenter le volume dans certaines phases, au risque de se prendre ensuite une surdité temporaire lorsque les timbales (début du n°4) envoient la sauce de façon fort peu équilibrée… Indéniablement le travail en coulisse n’est pas à la hauteur de la qualité du pianiste face à son instrument.
Kantorow produit en effet une interprétation époustouflante, synthèse de son style si adroit et sensible à la fois. Pas une faute de rythme n’est ici à déplorer, et le profane aura de quoi apprécier que le pianiste lui rende si accessible ces concertos composés par Saint-Saëns, à beaucoup d’égards inclassables dans leur époque (cf. le n°3, chef-d’œuvre de bizarreries pseudo-romantiques).
Concernant le n°5 cependant, la prise de son qui n’est pas optimale pourra dans l’immédiat un peu décevoir, et les oreilles attentives préfèreront sans doute l’interprétation de Chamayou avec l’Orchestre national de France (dirigé par Krivine) voire de Thibaudet (mon préféré) avec l’Orchestre de la Suisse romande. On ne peut qu’attendre de pied ferme une collaboration de Kantorow avec un orchestre prestigieux, apte à redonner à son jeu toute sa perfection innée et à lui assurer la postérité qu’il mérite.