Critique de la saison 1
Stranger, de son nom original coréen Secret Forest, nous plonge dans une affaire criminelle atypique dont a la charge un procureur génial qui, à la suite d'une opération du cerveau, perd l'usage de toute émotion.
S'inspirant du thème cher aux Coréens de la corruption ambiante au sein de leur Etat, la série adopte directement un ton ouvertement plus sérieux et sombre que la plupart des K-dramas sur le même sujet. Ici, pas de censure à outrance des objets tranchants, des tatouages ou des cadavres lacérés de coups de couteaux : le réalisme se veut le moteur de toute l'intrigue.
En résulte un climat de torpeur franchement jouissif, qui pèse comme une chape de plomb sur notre duo de protagonistes - entrecoupé ci et là de scènes plus portées sur l'humour, chères au genre. Si le héros Si-mok est effectivement "protégé" des tentatives de corruption et d'intimidation à son encontre du fait de son absence d'émotion, il n'en devient pas pour autant un surhomme : comme ses collègues du bureau du procureur et de la police, il se fait régulièrement tromper voire mener en bateau.
Car la véritable prouesse de Stranger n'est pas de faire avancer l'intrigue à l'attention du spectateur, comme c'est le cas dans la plupart des séries policières. C'est au contraire ramener une enquête complexe, aux ramifications qui paraissent infinies, à l'échelle humaine, et de faire la part belle au mensonge, au désir absolu chez tout individu qui a quelque chose à se reprocher de garder la vérité enfouie au plus profond de lui.
Du meurtre originel naît donc le doute, puis la conviction qu'il cache une réalité bien plus profonde et complexe. La corruption et le mensonge embaument l'air comme un parfum dont notre héros froid et surdoué cherche - avec l'aide d'une Bae Doona resplendissante dans son rôle de sidekick brillante - la véritable et unique source.
En résulte une enquête hâletante à la David contre Goliath, servie par des personnages attachants et bien écrits (le personnage de Si-mok en particulier dégage un charisme et une classe irradiantes), qui parviennent à éviter les traditionnels écueils du genre.
On appréciera avec délectation l'impression de réalisme qui se dégage de cet univers post-moderne, où les téléphones notamment sont utilisés comme ils devraient l'être dans n'importe quelle série policière actuelle. Réalisme renforcé par des rebondissements certes nombreux mais qui n'apparaissent jamais forcés, et toujours justifiés par les motivations d'un personnage, ce qui est un immense plus dans une fiction.
10/10
Critique de la saison 2
En dépit d’ajouts qui auraient pu lui donner une dimension toute autre que celle de la première saison, comme par exemple le volet politique de la lutte entre les services de police et de justice du pays, à travers la question de l’octroi des mandats, Stranger 2 ne parvient presque jamais à effleurer la qualité de son immense prédécesseur.
La faute à une narration un peu trop saccadée, initialement sorte de pot-pourri de plusieurs intrigues, rendues obscures par la quantité excessive de patronymes et de toponymes qui s’y rattachent. Outre ce problème que l’on pourrait renvoyer à la barrière des sous-titres, Stranger 2 souffre aussi d’un rythme en dents de scie, qui ne prend véritablement toute sa force que dans le dernier quart de la saison.
Là où Stranger premier du nom faisait un point d’honneur à laisser des non-dits pour simuler les zones d’ombres dans lesquelles notre héros Hwang Si-mok était laissé, Stranger 2 se veut quant à lui davantage omniscient dans sa narration et sa réalisation, en offrant simultanément les différents points de vue des personnages sur l’histoire à mesure que celle-ci avance, ce qui se répercute sur la lisibilité globale de l’intrigue et la rend par moments assez laborieuse à suivre.
Du côté des personnages, c’est presque toujours aussi bien. Les acteurs livrent ici une partition sans faute, notamment Choi Moo-sung (Woo Tae-ha) et Jeon Hye-Jin (Choi Bit), qui jouent à merveille leur rôle de leaders du côté de la justice et de la police respectivement. Le duo formé par Cho Seung-woo (Si-mok) et Bae Doo-na (Han Yeo-jin) est toujours aussi jouissif, l’un apportant toujours à l’analyse de l’autre avec intelligence et complicité. On peut regretter au demeurant que le développement de la psychologie de Si-mok ne soit pas plus approfondi tout au long de la saison, manquant de nous montrer une évolution de sa condition psychique (et sa relation avec Yeo-jin reste toujours ambigüe…).
L’histoire demeure le plus gros point fort de cette saison 2. On est une fois de plus menés en bateau par les scénaristes, qui regorgent décidemment d’idées pour nous mettre sur de fausses pistes (et Si-mok avec nous). On relève néanmoins à quelques rares reprises des incohérences, pourtant totalement absentes de la première itération. Les dialogues manquent quant à eux parfois de clarté, mais cela a à voir comme dit plus haut avec la complexité des intrigues, qui rend quasi-nécessaire un exposé détaillé de la situation toutes les demi-heures pour ne pas perdre complètement les spectateurs (papier et crayon obligatoires pour tout non-bilingue !).
C’est dans son dernier quart que Stranger 2 se révèle presqu’aussi profond et génial que la première saison, avec une émotion toutefois moins palpable et un enjeu finalement insuffisant pour nous impliquer dans l’affaire de façon aussi poignante que ne l’avait fait le précédent opus.
On ne peut cependant que s’incliner devant sa conclusion, qui en plus d’offrir des perspectives pour une troisième saison que l’on espère déjà en préparation parvient à nous faire oublier les errances parfois frustrantes de sa narration !
8/10