Ziggy vient de commettre son rock’n’roll suicide, et Bowie réfléchit déjà à sa prochaine persona, sans les Spiders mais surtout sans Mick Ronson : sa séparation d’avec son guitariste sera une décision difficile à avaler pour une partie des fans, tant le talent de Ronson est immense, et peut être perçu comme un composant essentiel du triomphe de Ziggy Stardust. Et c’est bien d’ailleurs la raison pour laquelle Bowie se sent obligé de s’en séparer !
Mais avant de disparaître à tout jamais, Ziggy va faire un dernier tour de piste, avec Pin Ups, album d’hommage, plutôt que de reprises au sens traditionnel du terme, à l’une des périodes les plus flamboyantes du jeune rock anglais, celle du Swinging London, jusqu’à la naissance du psychédélisme. Celle que Bowie considère comme avoir inspiré la musique de Ziggy, et qui lui permet de crédibiliser le glam rock avant de l’abandonner définitivement, en en exposant, presque de manière théorique, les racines.
La photo de la pochette sera iconique : Ziggy et Twiggy « the Wonderkid », masqués par Pierre Laroche, sont d’une beauté sublime mais d’une vacuité terrifiante. Sur la galette, les Spiders partent en sucette, après l’annonce-surprise faite par Bowie à l’Hammersmith Odeon, et avec le départ du formidable Woodmansey, remplacé par l’efficace Ainsley Dunbar. La musique sonne incroyablement « creuse », artificielle, sans plus rien de l’âme des morceaux – pour beaucoup, légendaires – ici repris. On peut dire que c’est exactement ça le concept, transformer des chansons « de chair et de sang » en « pin ups » de papier glacé… mais quelle frustration !
Pin Ups est un disque de grandes chansons : Them, les Who, les Pretty Things, les Kinks, les Yardbirds, le Pink Floyd de Barrett, les choix de Bowie sont imparables. Mais ces grandes chansons sont traitées par Bowie avec le genre d’égards que l’on réserve aux cadavres lorsqu’on les maquille et les habille pour les rendre présentables à la famille : personne ne peut aimer Pin Ups, il faut le reconnaître, en dépit de qualité du travail du croque-morts qu’est Bowie.
Pourtant, à première vue, Bowie semble chanter en y mettant le plus de cœur possible. Pourtant, on peut dire que, avec The Man Who Sold the World, il s’agit là de l’album de plus « Rock » de Bowie. Et pourtant, quelque chose résiste quand même, çà et là, au traitement cruel qui est réservé à la musique : puisqu’il s’agit seulement de faire défiler pour un dernier tour de piste les fantômes d’un passé qui a compté, mais qui n’est plus, la conclusion sur le Where Have All The Good Times Gone? des Kinks sonne parfaitement juste. Et ce n’est pas non plus une coïncidence si les deux meilleurs titres de l’album sont Friday On My Mind des Easybeats et Sorrow des Merseys : deux groupes qui ne sont pas passés à la postérité, deux chansons sans histoire, sans destin, que Bowie peut plus facilement faire siennes, et grimer en morceaux proto-glam.
Acceptons donc que le Bowie que nous aimions, le Bowie intense, sensuel, brillant d’intelligence n’est pas vraiment là, sur Pin-Ups, il ne fait qu’essayer des tenues clinquantes, chacune pendant moins de 3 minutes. Il imite (singe ?) les artistes originaux, il prend la pose, il s’imagine une dernière fois dans ce Londres coloré et superficiel auquel il va très vite – dès l’album suivant – tourner définitivement le dos. Tiens, si le smartphone avait existé en 1973, on imagine très bien que Bowie aurait fait un selfie de sa composition sur chaque chanson. Parce que tout cela n’a absolument aucune, mais aucune importance…
… Et pourtant, c’est peut-être, vu d’aujourd’hui où l’on connaît toute l’histoire jusqu’à la fin, l’un des disques de Bowie qui en dit le plus long sur lui, sur ses ambitions, sur son rapport avec la Musique, sur sa vision de son destin et son Art.
PS : Attention néanmoins de ne pas faire l’erreur d’acheter une version de cet album incluant les covers de Brel et de Springsteen stupidement rajoutées par la maison de disques : quel que soit l’intérêt de ces versions – et on a le droit de les apprécier – elles dévoient totalement le concept de Pin-Ups !
[Critique ré-écrite en 2023, à partir d'une première version de 2021]
https://www.benzinemag.net/2023/08/19/tous-les-albums-de-bowie-10-pin-ups-1973/