"Chanteur disparu, mort de soif dans le désert de Gaby", Alain Bashung s'enfonce dès la réussite du single précédent dans une dépression sans précédent ; il envoie balader tout le monde, se prend la tête avec son principal parolier de l'époque Bergman et glisse tranquillement vers une fin d'année suicidaire.
Le 31 décembre, date fatidique, il téléphone en panique son vieux pote - et futur parolier de génie - Jean Fauque qui débarque en pleine nuit pour l'emmener se planquer en Suisse. Bashung s'y repose, y noircit des cahiers jusqu'au jour où il cherche quelqu'un pour créer un nouvel album.
Serge Gainsbourg, alcoolique déjà notoire, tout juste quitté par la jolie Jane est lui aussi dans les bas-fonds, et c'est là qu'ensemble, cachés à l'arrière d'un bar de banlieue que se lance l'écriture de Play Blessures. Des cahiers griffonnés d'Alain, ils sortiront douze chansons - à laquelle s'ajoute une instru d'un quart d'heure qu'Alain avait écrit pour un film conceptuel dont je ne sais rien : le Cimetière des voitures, je vous laisse vous renseigner.
Et puis, il y a Jean Fauque, le meilleur pote, qui est là, déjà, il n'écrit pas encore, mais il soutient, il arrange des trucs, il conseille, et surtout c'est lui qui roule, joints sur joints ! Des après midi à se saouler, des nuits à écrire, des repas de folie à sept heures du matin, tout était réuni, parfaitement, au même moment. Gainsbourg. Bashung. C'est rare.
Normalement, j'aime pas les critiques didactiques comme ça, j'aime raconter tout ce que ça me touche, et comment c'est beau, mais là, il faut que ça soit plus grand, je peux pas laisser trainer un dix comme celui sans explication.
Cet album est une plongée malsaine vers la déshumanisation ; ça commence bien, par ce qui aurait pu être juste un tube un peu malsain - C'est comment qu'on freine - mais c'est le début d'une rupture pas tant au niveau des paroles que de la voix et de l'émotion qui se dégage avec difficulté.
J'avais commencé à citer des paroles, à développer chaque chanson, mais c'est vain. Vous découvrirez vous même, la froideur mécanique de Scène de manager, la remontée presque suicidaire de Volontaire - bien avant les nappes de violon et les accords trop délicats de Noir Désir. Et après la courte instru, Martine boude, une chanson sans amour et sans espoir, avant de toucher "enfin" le fond du gouffre avec trois chansons - de mes préférées - Lavabo, J'envisage et J'croise aux Hebrides. Et puis, il y a une coupure, étrange piste chantée en allemand. Et nous voilà dans une chanson étrange, perdue entre la haine, le dégout et l'humour bizarre d'un Gainsbourg pas vraiment au top. Je l'aime moins, comme j'aime beaucoup moins les deux suivantes, Strip Now et Bistouri Scalpel, mais elles se glissent assez bien dans l'ambiance sombre et sale, en attendant donc cette dernière instru de quinze minutes qui cloture parfaitement. De toutes façons, à ce moment, vous avez déjà arrêté d'écouter, ou alors vous êtes conquis et prêt à pardonner - ou peut être déjà mort.
L'album est crade, la musique est composée essentiellement de boîte à rythme et de clavier, on aperçoit de temps en temps les guitares, et même des cuivres égarés. Les mélodies se suivent, se croisent, se ressemblent ; la voix de Bashung, une fois passée la première chanson ne fait que s'abimer, se mécaniser, perdre tout ce qui la fait si belle d'habitude ; et j'aime beaucoup cette destruction progressive.
Quoi qu'il en soit, cet album se glisse parfaitement dans mes périodes les plus noires, et ça mérite largement un 10. Je le déconseille ceci dit à beaucoup de gens. Et ce malgré le petit coeur. Il a quand même un côté inaudible que demande une certaine énergie négative.
(Pour l'histoire, c'est la seule fois où Gainsbourg a co-écrit un album. C'est un peu la classe.)