John:
Putain, on y est arrivé ! Ça y est. Enfin, on est en train. Bon, faut dire, c’est pas comme si on était de la dernière pluie et qu’on n’avait pas trimé comme des malades pour ça. OK on a encore un peu des gueules de jeunes premiers (mais ça, c’est un peu la faute de Brian, notre manager, qui voulait absolument polir notre image, et sans doute, en ce qui me concerne, me polir autre chose) mais on reste des putains de rockers, bordel.
Le déclic, ça a été la rencontre avec Paul, il y a… waouh, 5 ans déjà (une éternité, j’aurais plutôt dit). C’est la que les choses sont devenues sérieuses. Mais cette fois, j’y suis ! MON fuckin groupe de rock’n’roll prend son envol. Avec Paul, je sais pas si c’est le fait qu’on ait tous les deux perdus notre mère qui nous a tant rapproché mais une chose est sûre : on est comme deux frères et on ne fera jamais rien l’un sans l’autre.
C’est pas dur, on écrit tout ensemble (je suis quand même arrivé à faire mettre mon nom avant le sien quand on signe nos morceaux, l’ordre alphabétique, ha ha !), même si c’est souvent Paul qui arrange mes idées. Parce que les idées, c’est surtout moi. Là, l’Angleterre nous tend les bras, mais j’en ai presque rien à foutre. Ce que je veux, moi, c’est le monde. Parce qu’entre autre chose, il y a un truc que je veux à tout prix prouver à Tante Mimi: oui, je ferai quelque chose de ma vie avec ma guitare ! Sans déconner.
Paul :
Depuis le temps que j’explique à John qu’il y a que le boulot qui paye. OK, le rock‘n’roll, c’est les filles, l’alcool et la dope, dieu sait si on a donné dans ce genre de chose à Hambourg. Mais si t’as pas des heures et des heures de scène, avec des sets qui durent jusqu’au bout de la nuit pendant lesquels tu épuises tout ton répertoire et tes capacités physiques et morales, et ben derrière y a rien qui suit.
Alors oui, y parfois des moments difficiles. Humainement je veux dire. Stu en a su quelque chose, le pauvre, mais il voulait pas vraiment continuer, de toutes façons. La basse, dans tous les cas, c’est moi qui allais la récupérer. Pour Pete, ça a été encore autre chose. Je suis persuadé que George Martin a eu raison. Brian, notre manager voyait en Pete un batteur un peu trop rocker, un peu trop tombeur, mais c’est Martin qui a vu que musicalement, il allait pas suivre. On allait quand même pas avoir fait tout ce boulot pour échouer là, après tant d’auditions et de tentatives ratées !
Entre notre producteur George et moi, en tout cas, le courant est bien passé. Même s’il a une formation classique, on est au moins d’accord sur un point: le boulot, c’est la base. Si on avait pas dû tout enregistrer en 12 heures sur ce magnéto 2 pistes (putain, j’adore cet appareil !), je serais bien resté refaire mes lignes de basses toute la nuit.
En tout cas lui, il a vu le potentiel en nous. C’est pas comme cette pine de Dick Rowe, de Decca, qui nous a refusé. Faut dire que je le 1er Janvier, on était plutôt flapis, on avait roulé toute la nuit dans le van de Neil, on était congelés et crevés. N’empêche. Le Dick, il aurait du voir le potentiel, ce con. On va tout faire pour enregistrer au moins deux ou trois disques de plus pour lui prouver que lui et tous les autres s’étaient gourés dans les grandes largeurs.
George :
Ok, j’ai eu un peu de bol de monter dans le même bus que Paul pour aller au collège, n’empêche, j’étais le seul de son entourage à savoir jouer Runchy. Du coup, quand John à changé tout le personnel des Quarrymen parce qu’il en avait marre de jouer des Skiffle, j’étais le right guy in the right place.
D’accord je suis le plus jeune (d’ailleurs y a deux ans, quand la police de Hambourg a été prévenu par… quelqu’un que j’étais mineur, ils m’ont expulsé d’Allemagne fissa) et Paul et John se font un malin plaisir de me le rappeler à longueur de journée (surtout John, il est cruel, parfois, ce con !) mais je suis là et bien là. Je compte pas lâcher l’affaire comme ça, et ils ont pas intérêt à me faire le même coup qu’à Pete. Mais je crois pas qu’il le feront, ils ont trop besoin de moi. Qui ferait des solos sans moi ?
Pour remplir le disque, il a bien fallu ajouter six reprises aux compos de John et Paul, et c’est moi qui en ai suggéré la plupart. Du coup, je chante sur "Chains" et une des leurs : "do you want to know a secret". C’est pas leur meilleur morceau, mais ça, fallait quand même s’y attendre. Je crois que je vais pouvoir leur faire confiance pour surtout penser à eux-mêmes, ces deux lascars.
N’empêche qu’ils se sont faits tout petits en arrivant chez EMI, dans ce grand studio n°2 d’Abbey Road. Y a que moi qui ai osé sortir une vanne sur la cravate du producteur, je veux dire l’ingénieur du son… enfin le grand échalas avec ses cheveux en arrière qui semble sortir tout droit de la deuxième guerre mondiale. Je sais pas s’ils ont déjà enregistré autre chose que du classique, ici. Guindés, les types !
Le truc marrant quand même, c’est "Twist and Shout". John s’est littéralement cassé la voix dessus, comme à la grande époque sur Reeperbahn, et j’ai l’impression que maintenant les gens croient qu’elle est de nous celle-là.
Enfin, d’eux. John et Paul, je veux dire.
M’en fout, je laisse prendre la lumière, moi je suis bien, un peu en retrait.
Ringo :
Si on m’avait dit, à l’époque ou on se croisait en Allemagne ou même à la Cavern que j’allais finir avec ces trois-là, j’aurais bien rigolé. Parce qu’à un moment Rory Storm and the Hurricanes, c’était quand même vachement plus fort que les Silver Beatles. Au KaiserKeller, on avait bien quelque fois joué ensemble mais j’avais pas pensé à l’époque que ç’aurait pu aller plus loin.
Pourtant, j’aimais bien déconner avec eux. Quand ils ont foutu le feu à leur loge, entre autre, c’était fort. Je sais plus si c’est la première ou la deuxième fois qu’ils se sont fait virés de Hambourg.
Moi, y a rien qui me plait tant que m’amuser. Vu que j’ai passé une bonne partie de ma jeunesse à l’hôpital, j’ai décidé depuis un bail qu’il fallait que je rattrape le temps perdu !
Bon, les conditions de mon arrivée sont un peu spéciales, mais que veux-tu. Je me dis qu’à un moment, y a le karma. OK, Pete doit faire la gueule à l’heure qu’il est, se faire sortir au moment où ça décolle, c’est un peu moyen et j’aurai pas voulu être à sa place. Mais les gars n’arrêtent pas de me le dire: avec moi, au moins, ils rigolent. Et faut ça aussi pour réussir: du boulot, de la chance, de l’envie, de l’endurance et du fun.
Je m’occupe du fun.
Cinquième Beatles George Martin:
Mon Dieu que ces jeunes lads sont fous et intrépides. Je les ai bien sentis intimidés en arrivant dans les studios mais j’ai surtout capté le feu dans leurs regards. Ces gars-là ont une foi à déplacer les montagnes. Je crois avoir été capable de les canaliser. Y avait pas mal de boulot sur les arrangements. Mais ils ont l’air d’être sacrément vifs. A la fin de la journée d’enregistrement, ils avaient déjà pigé pas mal de truc.
Pas mal cette pop music, décidément. Je sais plus qui a dit que l’avenir n’était pas aux groupes à guitares, mais je sens confusément qu’il pourrait avoir foutrement tort.
Cinquième Beatles Brian Epstein:
Fallait à tout prix me sortir des pattes de maman, qui comprend de moins en moins le cours ma vie. Me sortir de Liverpool aussi, parce que j’ai eu beau développer le rayon disque du magasin de papa, j’étouffais ici. Le monde est petit, et les rencontres nocturnes des parcs de la ville sont malsaines. On tourne en vase clos. Là, avec ces jeunes fous, je me demande si j’ai pas décroché la timbale. On avait autant envie les uns que les autres de sortir de la Mersey. Londres est déjà fou d’eux. Et moi, je suis fou de Londres.
Ils ont la fougue et le culot qui me manquent. Ensemble, j’ai l’impression qu’on peut tout faire. Et puis bon. Y a John. Il me fascine. S’il commence à me rudoyer, je sens bien une part d’ambigüité chez lui, il camoufle plein de choses. C’est un écorché de la vie, comme moi.
Cinquième Beatles Neil Aspinall:
Moi, je ne souhaite qu’une chose : que ça marche le mieux possible pour les copains. Parce que si quelqu’un pouvait m’aider à porter les amplis et conduire le van, je cracherais pas dessus. J’en peux plus.
(PS : Un grand merci à Ze Big Nowhere, pour l’inspiration de la forme de cette série de chroniques à venir, que je murissais depuis un moment mais auxquelles il manquait l’étincelle, qu’il a su provoquer avec sa superbe série sur Gainsbourg, et sur laquelle je vous invite à vous ruer séance tenante. Love mi-doux)
(Retrouvez l'intégralité des chapitres de la saga ICI !)