Pleasure to Kill
7.5
Pleasure to Kill

Album de Kreator (1986)

1986 est un grand cru pour le thrash metal. En effet, c'est en cette année que l'on
peut profiter de Master of Puppets des Four Horsemen, Reign in Blood de Slayer, ou de
Peace Sells... de Megadeth. Mais Pleasure to Kill mérite amplement d'être traité de la
même manière.
A la première écoute, cet album peut dérouter. Après une intro angoissante
parsemée de croassements de corbeaux (eh oui, ils sont comme ça chez Kreator)
nommée Choir of the Damned, on est submergé par les premières secondes de Rippin
Corpse. « Quoi, mais on m'avait dit que j'allais écouter un bon album de thrash, que se
passe-t-il ? » doit s'exclamer tout bon thrasheux amateur de bon produits made in USA.
Oui, Pleasure to Kill, c'est du thrash, mais attention, du thrash allemand.
Tout bon connaisseur de ce style doit aisément sentir la différence entre les
versions germanique et américaine. Plus lourd, plus sombre, souvent plus cru et agressif
que son homologue américain, ce n'est pas pour rien que l'on cite souvent le thrash
teuton comme un des catalyseurs de la naissance du death metal, parfois au même titre
que Tampa en Floride. Or, Kreator, fondé en 1982 et mené par Mille Petrozza, est un des
leaders de cette scène thrash allemande réputée pour être assez underground.
C'est pourquoi cet album est tellement cru et authentique. Les seuls utilisations
de la technologie sur le disque se limitent à l'enregistrement proprement dit et au
mixage. Cela est une caractéristique propre à Kreator, dont certains albums, comme
Extreme Agression, seront indiscernables de leur version live dans les années 1990. La
distorsion est dans cet opus de Kreator vraiment prépondérante, et forme la
personnalité de ce disque. Très riche en harmoniques, lourde à souhait, elle confère un
aspect « sale » à la production, s'adaptant très bien à l'ambiance sombre et gore de
Pleasure to Kill. La basse, bien qu'elle ne fasse que suivre les riffs de guitare la plupart
du temps, est mixée suffisamment haut pour être entendue, fait appréciable. Le chant,
aussi bien pour Petrozza que pour Ventor (batteur du groupe, qui cessera de chanter sur
les albums suivants) bénéficie d'un traitement assez commun dans le thrash metal, à
savoir un peu de reverb pour augmenter la sensation d'espace pendant l'écoute. Les deux
vocalistes tapent dans deux registres différents mais excellent chacun dans leur
domaine. La voix éraillée de Petrozza déborde d'énergie et le chant rocailleux de Ventor
colle parfaitement aux riffs (exemple : Riot of Violence). Le dernier point, assez difficile
à traiter, reste la batterie. Au début, difficile de s'y faire. Ventor tape comme un fou
furieux sur ses fûts, ce qui met son jeu au premier plan lors des blast, rendant parfois
l'écoute de certains riffs compliquée. Or, son son très lourd risque de diviser les avis.
Mais on peut souligner qu'il renforce le côté brutal de l'album, et c'est bien évidemment
un choix délibéré.
En effet, il suffit de regarder la pochette pour se mettre au point sur l'ambiance
générale de la galette. Et cela tient en un mot : la guerre. Au centre, la mascotte du
groupe, Violent Mind, en train d'étrangler un ennemi, représenté sous forme de
squelette (un moyen de dire qu'ils sont déjà morts avant même d'avoir combattu ?), le
tout dans un gamme de couleur fortement inspirée par le rouge. On aura compris
pourquoi.
Oui, les paroles risquent dans ces conditions de fortement parler de sang, de
guerre, de douleur et encore de sang. D'avis personnel, le texte est le véritable point
faible de cet album. Avec un texte, on a compris le reste de tout l'album, si l'on a pas
déjà deviné rien qu'à la pochette. Néanmoins, lorsque l'on connaît le niveau d'écriture
sur Extreme Agression (1989) ou Coma of Souls (1990), on peut se demander si cette
agressivité n'est pas réellement à prendre au second degré, une forme d'ironie contre la
violence guerrière. A moins d'assister tout simplement à une débauche d'énergie
juvénile.
Parlons désormais du fond, de la colonne vertébrale de tout album de musique qui
se respecte, la composition. Il faut déjà savoir que tout l'album est composé et joué
avec un accordage en D (Ré, pour les non anglophones), soit un ton en dessous de
l'accordage standard. Là encore, c'est un choix judicieux puisque les riffs en deviennent
systématiquement plus sombres. Cet accordage deviendra même un standard dans le
milieu death metal. Les riffs ne respectent aucune gamme particulière, mais sont
terriblement agressifs, or, c'est tout ce que l'on attends d'un album de thrash. Les soli,
faits intégralement de chromatismes, un peu à la Slayer, ne sont pas du grand art mais
renforcent la cohérence de l'album, en restant sur le ton brutal et agressif des riffs. On
comprendra que cela en rebute certains, surtout lorsque l'on connait les soli que le
groupe a pu pondre plus tard dans sa carrière. Abordons désormais le point fort de la
composition sur ce disque : les breaks. Placés au bon moment, accrocheurs, il sont juste
indispensables pour accentuer l'effet des riffs plus rapides et des parties de blast. On ne
le dira jamais assez, mais il faut éviter à tout prix la monotonie dans le rythme et
privilégier les contrastes, au risque de fortement ennuyer l'auditeur, et par la même
occasion d'émousser sérieusement l'impression de violence le long de l'album. En
revenant sur la batterie, on peut remarquer que les mid-tempo réussissent bien à
Ventor, qui a l'occasion de s'exprimer autrement qu'avec des blast, avec un jeu très varié
au niveau des peaux utilisées. Ventor n'aura jamais un jeu très technique, mais toujours
efficace tout au long de sa carrière, conformément à ce que l'on attend d'un batteur de
thrash metal. En parlant d'efficacité, les rythmiques le sont, sans forcément être
techniques, ce qui démontre que cette efficacité peut triompher de la technique pure.
Pleasure to Kill est un album d'une cohérence artistique et musicale rares,
n'ayant rien à envier d'un point de vue brutalité à bon nombre de productions de
death metal. D'une simplicité apparente, il réserve néanmoins aux auditeurs de
grands moments de headbanging aux plus persévérants dans leur écoute. Du death
metal avant l'heure, en somme.
Sébastien_Lehms
7

Créée

le 23 nov. 2013

Critique lue 474 fois

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7

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