Reflet de son époque

Notre pays est parfois plein de bonnes surprises, Etienne Daho en est une. Surnommé "le Parrain de la french pop" par ses admirateurs ou "l'Aphone" par ses détracteurs, Daho est une marque, et aujourd'hui nous abordons son troisième album studio, sorti le 1er avril 1986, Pop Satori.

Un peu de contexte. Daho est issue de la vague de rock rennaise, qui émerge à la fin des années 70, sous l'influence des punks. Après un premier album en 1981, Mythomane, produit par Jacno et joué par les musiciens de Marquis de Sade (ce qui n'empêchera pas l'échec commercial, malgré la bonne réception critique), Daho enchaîne deux hits, "Le Grand Sommeil" et "Week-End A Rome", donnant à l'Hexagone le goût de sa voix gracile et des marinières.

La Notte, La Notte ... , son deuxième album sorti en 1984, est le grand succès critique et commercial qui lance réellement sa carrière, beau jeune homme qu'il est, dandy aux goûts classieux (inspirations: le Floyd de Syd Barrett, le Velvet Underground, Gainsbourg, Françoise Hardy).

A l'été 1985, "Tombé Pour La France", magnificence mal comprise par les gens, est un nouveau grand succès qui conforte Daho sur la nouvelle voie musicale qu'il est en train d'emprunter, quittant les influences new wave pour se rapprocher de l'électro pop anglaise de l'époque. C'est la raison de son éloignement avec Frank Darcel, membre de Marquis de Sade et producteur de son deuxième disque.

Virgin tient un nouveau poulain. D'abord méfiante suite à l'échec de Mythomane, elle commence à laisser plus d'espace et de budget à Etienne Daho (le clip de "Tombé Pour La France" réalisé par Jean-Pierre Jeunet en est un exemple). Daho, épaulé par Arnold Turboust, décide de se rendre à Londres pour enregistrer le successeur de La Notte, La Notte ... .

L'objectif premier est de le faire produire par le groupe Torch Song, dont fait partie William Orbit, que l'on retrouvera comme producteur chez Blur ou Madonna, mais la formation étant en pleine séparation, Daho doit se débrouiller tout seul, avec Turboust et Rico Conning, chargé des programmations. On aurait dû également y croiser Chet Baker, le trompettiste de velours, et Nico, iconique chanteuse du premier album du Velvet Underground, mais désistement dans les deux cas.

Que résulte de ces séances ? Douze titres, d'une clarté et d'une scintillance pop exceptionnelle. Car oui ! Pop Satori ( référence à l'ouvrage de Jack Kerouac, Satori à Paris) porte bien son nom, c'est un instantané de son époque, avec un arrière goût de soleil et de nostalgie, voulant sans doute signifier la fin de cette dite époque. C'est surtout et aussi un album fondateur et marquant, pour Daho et la pop en général. Très marqué par les boîtes à rythme et les synthétiseurs (ce n'est pas désagréable ici) , il est dans l'air du temps de 1986, tout en se démarquant de la concurrence par une distinction qui lui est propre.

Pop Satori à le goût d'une célébration presque terminée, reflet des virées nocturnes poudrées (farinade!) et de la nonchalance sexuelle d'avant l'arrivée tragique du SIDA. Daho est raffiné, et cet album en est la preuve.

Contenant trois hits, en les personnes d'"Epaule Tattoo", "Tombé Pour La France" et "Duel Au Soleil" (dont la musique est signée Jérôme Soligny, bien connu des bowiens ;), mais il serait fort dommage de laisser sur le côté les admirables "Paris, Le Flore", "Pari A L'Hôtel" ou "(Qui Sera) Demain Mieux Que Moi". Tout rayonne d'un léger aura futuristique, honnête, presque nostalgique avant l'heure. C'est un album qui s'écoute de bout en bout, savourant les mélodies de Daho ("Paris, Le Flore", "Epaule Tattoo"), faiseur pop de grande classe, méritant et digne de son titre de "Parrain de la French Pop".

Le disque sera un grand succès, critique et commercial, bien qu'il ait été visé par quelques rock critiques ayant décrété que la pop était un genre anglais, devant donc être exclusivement chanté en anglais ... Mais le public fut au rendez-vous, il couronnera Daho, nouveau prince de la chanson française.

Si j'avais un seul titre à recommander, ce serait sans aucun doute "Paris, Le Flore", beauté synthétique, noyé dans le blanc soleil des soirées de juillet parisiennes, à arpenter le boulevard Saint Germain. Les hits sont connus, mais valent toujours sincèrement le détour. Daho, fruit de l'osmose entre musique et poésie, signe un album d'une distinction peu commune pour 1986.

Simple, à la fois si proche et si loin des sommets des années 90, Paris Ailleurs et Eden, un sans faute, reflet de son époque, ensoleillée.

Paris, Le Flore- Clip

Daho est irradié. Pour nous, que sa joie demeure.
Best, mai 1986